Si Muḥand U M'Ḥand le poète laïque ou le sens de la Kabylité

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Si Muh U Mhend
Si Muh U Mhend

Si Muḥand U M’Ḥand le poète laïque ou le sens de la Kabylité. Il y a 105 ans le poète a quitté ce monde, mais son verbe et sa parole sont toujours dans la mémoire collective. Résistance à l’usure de la vie.

Le grand poète est né vers 1845 à Icheraouen près de Tizi-Rached, non loin de Larbaâ Nath-Iraten. Sa famille était celle des Ait Hammadouche, le père de Si Mohand avait comme femme Fatima Ait Saïd de Taddart Bouada. Durant la conquête de 1857 par le Maréchal Randon, le village de Si Mohand est détruit, afin de bâtir sur son emplacement, un fort dénommé Fort Napoléon, plus tard, Fort National, actuel Larbaâ Nath-Iraten.

Le poète suit l’école coranique à Sidi Khelifa, puis alla vers la zaouïa de Sidi Abderrahmane des Illoulen Oumalou (dont j’ai collecté quelques textes du poète chez des femmes de cette région durant les années 1990). Après avoir acquis les notions de droit musulman, il devient taleb. Sa famille s’engage dans la révolte de 1871 (l’insurrection de la Kabylie); elle est bientôt ruinée et anéantie lors de la défaite d’Icheriden. Les membres de la famille sont recherchés, l’un part pour la Tunisie, l’autre est déporté en Nouvelle-Calédonie ; le père de Si Mohand est fusillé à Fort National. Lui-même échappe de peu à la mort. Il entre désormais dans une période d’instabilité et d’errance, alors que la famille est dispersée. Il va de ville en ville, se laissant aller à la boisson. Les Ait Hammadouche se dispersent et vont se réfugier dans d’autres hameaux de Tizi-Rached, chez des alliés, les uns à Boushel, les autres Takaât où leurs descendants résident encore. La mère du poète se retire à Icheraouen avec Meziane, le plus jeune de ses enfants, l’aîné de ses fils, Akli, plus âgé que Si Mohand, se rend en Tunisie. Le poète lui-même n’a la vie sauve que grâce à l’intervention d’un officier qui avait jugé sa mort inutile. De ce qui restait de la fortune paternelle, Akli a emporté l’essentiel en Tunisie.

Si Mohand proclame sa douleur et le malheur du temps dans ses poèmes. Il se marie, mais continue à boire et à fumer le haschisch. Sa belle mère essaie même de l’empoisonner. Divorce. Errance ; il revient de temps en temps en Kabylie. Il parcourt l’Algérie, va jusqu’en Tunisie. Il se rend à Ain El-Hammam (Michelet autrefois) pour visiter le poète et sage Cheikh Mohand Ou Lhoucine (dont j’ai recueilli une autre version de cette rencontre entre les deux poètes).

Le poète entre à l’hôpital des sœurs blanches d’Ain El-Hammam (Saint Eugènie) le 20 décembre 1905 sous le numéro 20/1010, souffrant de tuberculose pulmonaire. Il n’y est resté que huit jours. Étrange malade à qui personne ne rend visite, sauf Si Hamou Idir. Le poète y mourra le 28 décembre 1905 à 6 heures du matin (selon les sœurs blanches de l’hôpital). Les responsables de l’hôpital ont décidé de l’enterrer près de l’hôpital dans un lieu dit Ahched Bouqoir. Heureusement, Si Hamou Idir a opposé un refus catégorique, car sa tombe est réservée à Asqif N Tmana. Si Hamou Idir s’est occupé des funérailles et des dépenses occasionnées.

Rétrospective des lectures – travaux de Boulifa, Feraoun et Mammeri sur Si Mohand
Si Mohand était un homme très attaché à son peuple. Il se voulait porte-parole de son époque. Il a mené une vie pleine de soucis, de la misère matérielle à la misère morale. Il subissait à l’âge de quinze ans un triple exile : conséquence d’une instabilité dans sa famille, Si Mohand très jeune, a changé de village plusieurs trois fois. Si Mohand était marqué par la situation sociale difficile dans laquelle la colonisation a accentué sa vie demi-morte.

« J’ai parcouru toutes les régions,
tous les maux ont fondu sur nous,
partout c’est même sort,
le même feu brûle tous les cœurs… »

La deuxième moitié du XIXe siècle, au cours de laquelle il avait été profondément marqué par les événements qui s’y déroulèrent. Le débarquement de l’armée coloniale française en Tamazghenna (authentique nom d’Algérie) avait eu lieu en juin 1830. Les colons ne pénétrèrent en Kabylie qu’en 1857. Cette invasion de la Kabylie par l’armée française dirigée par Randon a été des plus violentes et des plus meurtrières – et allait détruire l’équilibre socio-économique et culturel qui y régnait :

« Je viens d’apprendre la nouvelle arrivée par lettre
de la montagne de Ath Irathen
On a nommé un président… »

La révolte de 1857 conduite par la grande dame Fadhma N’Soumer d’abord puis l’insurrection de 1871 engagea encore la Kabylie. La répression n’épargna pas la famille des Aït Hamadouche. Le père de Si Mohand est fusillé, l’un de ses frères déporté en Nouvelle-Calédonie, l’autre s’exile en Tunisie. Si Mohand lui-même échappa à la mort. Le poète « se placera dès lors dans le clan des vaincus », dira Mouloud Mammeri.

Si le livre de Mouloud Feraoun est très succinct (Les poèmes de Si Mohand, Paris, éditions de Minuit, 1960, 111 p), il a néanmoins le mérite d’offrir une bonne vulgarisation de l’œuvre du grand poète que fut Si Mohand : « Il est en Kabylie un nom que tout le monde connaît, un poète dont tout le monde vénère la légende : Si Mohand Ou M’Hand des Ath-Irathen. Cette popularité est d’autant plus remarquable que l’œuvre de Si Mohand n’a été véhiculée que par la parole ou le chant ».

Mouloud Feraoun commence par expliquer qu’il lui a été difficile d’établir avec précision la biographie, floue et mystérieuse, de Si Mohand. Ses principales références lui ont été fournies par un ouvrage de Si Saïd Boulifa (Recueil de poésies kabyles, Alger, A. Jourdan, 1904, XCIII-555 p). Ce livre devenu rarissime qui traitait d’ailleurs de l’ensemble de poésie kabyle contenait quelque 300 Isefra attribuées, parfois à Si Mohand. Voici comment Boulifa présentait Si Mohand dans son ouvrage : « Si Mohand Ou M’Hand, le barde populaire de la Grande Kabylie est né dans un village près de Tizi-Rached. Il est le type du véritable poète errant. Il ne chante pas comme ses confrères sur les places publiques, il ne dépite pas ses poésies dans les cafés maures. En un mot, il ne profane pas son art et n’en fit pas commerce. Amant passionné de l’espace et de la liberté, il va où son étoile le conduit. Le paysage et le site lui plaisent-ils? Il s’y arrête et les contemple […] Ses chants vont droit au cœur. Reçoit-il une hospitalité cordiale, il remercie ses bienfaiteurs d’un jour ou d’une heure par quelque vers qu’il leur dédie (…) Vu son genre, nous n’hésitons pas à l’appeler le poète de l’Amour et des Muses érotiques ».

Mouloud Mammeri estime (Les isefra, poèmes de Si Mohand-Ou-Mhand (texte berbère et traduction), Paris, François Maspero, 1968, 480 p), de son côté, que cette caractéristique de l’inspiration de Si Mohand choqua quelque peu l’honorable Boulifa qui ne retint pas dans son recueil certaines poésies jugées trop « précises ». De même, les 53 poésies contenues dans le recueil de Mouloud Feraoun sont toutes très « dignes ». Il convient de raconter la vie amoureuse du poète, car elle conditionne étroitement son œuvre. Donc, Si Mohand serait né vers 1845 : « Le père du poète, Mohand Améziane Ou Hamadouche était originaire d’Aguemoune. Pour échapper à une vendetta, il s’était réfugié avec ses frères dans l’ancienne Cheraoua (emplacement actuel de Larba-Nath-Irathen) qui avait alors le privilège de l’anaya (…) L’oncle paternel de Si Mohand, Cheikh Arezki Ou Hamadouche, était maître en droit musulman et chef de confrérie. Il avait ouvert une zaouïa où un taleb payé par la famille enseignait le Coran. C’est là que Si Mohand commença ses études, qu’il alla ensuite terminer dans l’importante Zaouïa de Sidi Abderrahmane des Illoulen où il fit notamment le droit musulman. La famille vivait dans une certaine aisance et le poète connut une jeunesse heureuse ».

L’événement capital qui décida de la vocation poétique de Si Mohand fut l’insurrection de 1871. La famille se battait résolument contre le colonisateur, et après la défaite, paya de son statut social, de ses biens et, pour plusieurs de ses membres, de sa vie son attachement à la liberté. Le père du poète fut exécuté, le cheikh Arezki fut déporté en Nouvelle-Calédonie. Si Mohand échappa de justesse à la mort. Quand Si Mohand parle de cette époque, on a l’impression qu’il ne peut choisir entre deux attitudes. Cette ambiguïté est l’exacte image des gens de ce temps. On assiste d’un côté à une réaction « d’aristocrate », de l’autre à celle d’un prolétaire. Cette contradiction, il s’y installe au lieu de la résoudre. C’est ce qui donne une espèce d’humanité à son attitude. C’est le portrait parfait de cette société tiraillée entre un ordre ancien auquel elle renonce difficilement et l’ordre nouveau auquel elle a peine à se rallier. La contradiction du poète lui permet de transcender sa personnalité. De ce moment date la vie « migrante » de Si Mohand :

« Gulleɣ seg Tizi-Ouzou
Armi d Akeffadu
Ur ḥkimen deg-i akken llan
Ad nerreẓ wala ad neknu
Axir ddeεwessu
Anda pqewwiden ccifan
D lɣerba tura deg uqerru
Gulleɣ ar nenfu
Wala laεquba ger yilfan J’ai juré que de Tizi-Ouzou
Jusqu’à Akfadou
Nul ne me fera subir sa loi
Nous nous briserons, mais sans plier :
Plutôt être maudit
Quand les chefs sont des maquereaux
L’exil est inscrit au front :
Je préfère quitter le pays

Que d’être humilié parmi ces pourceaux » (trad. M. Feraoun).

Et le désespoir s’installe dans sa vie et dans celle de son peuple. La structure socio-économique qui permettait à chacun de s’épanouir dans un cadre d’entraide et de valeur humaine de taqbaylit (Kabylité) cédait le pas et volait en éclats devant la sauvagerie de l’envahisseur, qui ôtait à un peuple son âme et son ultime moyen de survie : tamurt (la terre).

« Celui qui avait une paire de bœufs
devient métayer
mais, mon cœur, tu les connais,
ce sont des voleurs
qui habitent nos plaines… »

Si Mohand essaie d’oublier sa peine dans le kif et l’absinthe. Et beaucoup de ses poèmes exprimeront la déchéance des colonisés. Il fustige les collaborateurs :

« O mon Dieu, quelle injustice !
La toléreras-tu encore?
N’est-ce pas bientôt le tour des pauvres? »

Cette révolte intraitable de Si Mohand se teinte aussi d’une certaine nostalgie envers sa précédente situation de privilégié :

« J’ai été la cible du siècle nouveau
Qui a terni ma valeur
Et c’est pourquoi l’on me raille »

Le poète assiste à la décadence de sa société. Le nouveau système fait place à un nouvel ordre plus radical :

« Jadis, le courage et la science
faisaient la valeur de l’homme… »

Ces vertus s’effacent devant l’argent, substitutif pour une vie basée sur le capitalisme colonial :

Le monde à ceux qui ont de l’argent,
On les appelle seigneurs.
L’argent confère puissance et considération… »

Jadis, on écoutait la voix kabyle (taqbaylit), maintenant c’est l’idéologie religieuse à subir, dont elle est l’objet des intégristes :

« Beaucoup qui ont fait vœu de dévotion
ruissellent de péchés
Ils ont laissé le Coran pour l’intrigue,
Je jure de ne plus fréquenter « les musulmans »
Ceux qui utilisent l’islam pour la spoliation,
Ils n’ont plus de foi
Et pour l’infamie s’enorgueillissent… »

Le second thème de sa poésie sera l’Amour… les femmes et les filles. Selon Boulifa, il aurait fait un mariage malheureux et aurait échappé de peu à un empoisonnement de sa belle-mère ! Selon Si Youcef « l’histoire de son mariage et de son divorce est une pure calomnie destinée à le salir. Si Mohand a répété à maintes reprises qu’il était impuissant. L’amour chanté dans ses vers est donc tout platonique ». De fait, certains vers sont ambigus :

« La liste de mes peines est longue
Mon mal dépasse tous les autres
Et personne ne le connaît. »

Ce point restera inéclairci (non élucidé). En tout cas, selon Mammeri, un nombre considérable de demoiselles « qui n’ont qu’un numéro sur leur porte » défilent dans ses poèmes… Mais une chose est certaine : Si Mohand chante toujours l’amour malheureux.

« J’avais un jardin dans la plaine
Une débauche de roses
De péchés et de grenade
Sa clôture était parfaite
Il était protégé et inviolable
Je la choyais comme un faucon
Je n’eus qu’une branche stérile
Qui ne donna rien ».
Elle me remplaça par un homme vil ».

Le poète mena donc une vie « migrante », parcourant toujours à pied les routes entre la Tunisie (où son frère qui s’était exilé là ne voulut point le recevoir) et la Kabylie. Il se faisait souvent arrêter, car il n’avait pas de « papiers », mais on finissait par le relâcher. La mémoire collective affirme que ses talents de poète lui auraient été confiés par ange qui lui aurait proposé le marché suivant : « Parle et je versifierai, ou bien versifie et je parlerai ». Si Mohand aurait répondu : « Je parlerai, tu versifieras ».

Il fréquenta beaucoup les mineurs de Bône. Il aurait même possédé une gargote où il confectionnait des beignets. « On raconte qu’un jour, écrit Feraoun, il fit tomber la bourre de sa pipe dans l’huile de friture. Tous ses clients furent incommodés. Si Mohand dut s’enfuir dans la nuit pour éviter la correction dont ils le menaçaient ! » Et ses malheurs lui étaient d’autant plus pénibles qu’il était extrêmement sensible. Il ne connaissait pas le bonheur et sentait la mort approcher avec une grande frayeur.

« Maintenant, brisé par la vie
Pliant sous les veines
Je ne sais plus être heureux ».

Fort peu rationnel comme la plupart des artistes. Si Mohand oscillait constamment en maints domaines, entre deux attitudes contradictoires. Ainsi à l’égard de Dieu se montre-t-il tantôt soumis et résigné :

« Que la volonté de Dieu soit faite
C’est lui qui récompense ou châtie ».

D’autres fois, au contraire, il blasphème et, comme l’écrit Mammeri veut envoyer à Dieu un huissier pour lui demander des comptes… L’inspiration de Si Mohand apparaît donc très vaste et très diversifiée. Il dénonce la colonisation à travers sa situation de prolétaire, il clame son angoisse devant la solitude et l’approche de la mort, implore la miséricorde divine ou au contraire vitupère contre le créateur Dieu. Il tance ceux qui se moquent de lui :

« O Dieu éprouve le railleur
Interdis-lui les filles
Qu’il subisse la brûlure du foie ! »

Il faut noter que tous ses Isefra – poèmes, plusieurs centaines sont toujours composés de trois strophes de trois vers.
En résumé, l’œuvre de Si Mohand témoigne de la grandeur de la poésie populaire. Il reste le poète de tous les temps. Pourquoi? Il convient de noter les trois thèmes qui reviennent dans les poèmes de Si Mohand : l’exil, l’amour, le destin.

L’Exil est un thème privilégié dans la poésie kabyle (bien que la notion d’exil reste une question d’appréciation). Si Mohand a chanté la résistance des autochtones à la misère matérielle sous la colonisation. La misère morale double le dénuement matériel. Le poète, qui est un hypersensible semble porter ce thème comme ancré en lui. Il existe en lui comme une espèce de va-et-vient entre un sentiment de solitude et de liberté.

L’Amour est une suite d’évocations rapides, mais précises (appel du nom, description). Il convient de noter que toutes les amours de Si Mohand sont des amours malheureuses (thèmes du jardin ravagé) que ce soient des amours réelles ou imaginées, les dénouements noirs ressemblent à la manière d’exil du poète. L’amour pour lui est une forme d’exil. Pour sortir de cette situation inconfortable, Si Mohand voyage, déclame sa poésie, etc.

Le Destin est la recherche de Si Mohand de son destin. Aussitôt, deux problèmes se posent à lui : ceux du bonheur et du mal. Le monde du bonheur que peint le poète est absurde, illogique. Il constate qu’il y a deux espèces d’amoureux. Il y a deux destins d’amoureux : ceux dont le destin est domestique (heureux) et ceux qui ont « mangé le feu » (Iccan times). Le second problème se résume en son désir de bien faire, mais il se sent sur cette pente qui l’entraîne chaque jour davantage vers la révolte. Il en a conscience. Il est lucide. Il sait que cela vient de la coupure survenue avant et après 1871.

Dans la vie, la vraie réponse de Si Mohand vient de son art lui-même, car ayant eu conscience de sa vocation, celle-ci la soutenu pendant ses trente années de voyage. Il faut noter que Si Mohand, définira les conditions de l’ordre nouveau dans le genre poétique, qu’il va parfaire, des isefra. Contrairement à la poésie traditionnelle, presque toujours civique, éthique ou religieuse, l’inspiration personnelle envahit les Isefra, une inspiration faite surtout de désespérance, d’amours malheureuses, de destins contrariés, ou bien encore de révolte impuissante. L’exil, la déréliction, la misère matérielle doublant souvent la misère morale, deviennent le leitmotiv de la poésie composée par les disciples et imitateurs nombreux de Si Mohand pendant plus d’un siècle.

Sa mort a été préparée, voulue par lui-même. Il a voulu donner un sceau au terme de sa vie et il repart et va revoir tous les endroits où il a connu le plaisir. Il voyage à pied et de même qu’à l’aube de sa vie il repart et va revoir tous les endroits où il a connu le plaisir. Il voyage à pied et de même qu’à l’aube de sa vie et il émettait le vœu de ne jamais dire deux fois la même chose, il s’attachait toujours à ne rentrer en Kabylie qu’à pied.

En effet, Si Mohand effectue un voyage initiatique, jette l’ultime regard sur les tréfonds de son pays qui se déchire continuellement, et préfère retourner à Tamurt leqbayel, rejoindre ses racines avant que la mort ne le happe. La mémoire collective garde dans l’oreille les strophes de son poème :

[…]

A lbaz izedɣen leḥsin
Iḥubb-ik Weḥnin
Amkan-ik ḥedd ur t-yewwiḍ
Γer ṣṣfer heggi aεwin
Ul-iw d amuḍin
Tamurt ad tbeddel wiyaḍ Faucon qui hante le manoir
Tu es aimé de Dieu très bon
A ta hauteur nul n’atteint
Pour le voyage, prépare le viatique
Mon cœur souffre
Ce pays va changer d’hommes

Ainsi, le pays que Si Mohand croyait à jamais régi par la tradition laïque a changé et s’est dégradé, le patrimoine spirituel n’est plus intact, dont taqbaylit (la Kabylité). À la fois surpris et indigné :

Tamurt a ziɣ tbeddel
Wwin-tt zzwayel
Widak kerheɣ zik-nni
Tamεict teṣεeb ɣef lefḥel
Teqqel-as d ifelfel
Irwa zzεaf d leḥjani Mais ce pays a changé
Il est devenu la proie des gredins
De ceux que jadis j’abhorrais
Et au preux l’existence est ardue
Et âpre comme le piment
Il se gave de colère et de désespoir.

Cependant, devant l’abandon apparent des valeurs de ses ancêtres, Si Mohand prend conscience de son attachement au sens de l’honneur par lequel il reste fondamentalement lié à sa Kabylité et qui déterminera la décision qu’il sera appelé à prendre.

La mort de Si Mohand dans sa terre natale est de toute évidence le moyen le plus radical pour faire ses adieux, à son peuple, puisque sa poésie épouse nécessairement la structure sociopolitique de la région de son origine, et donc n’est jamais tout à fait dépourvue de commentaire sur cette structure. Sa mort survint quelque temps après une entrevue qu’il eut avec l’un des grands poètes de sa génération Cheikh Mohand Ou Lhocine : confrontation mémorable de deux poètes laïques de la Kabylité.

Boussad Berrichi*

Universitaire (Canada)

boussadberrichi@yahoo.fr

– Boussad Berrichi est auteur de : « Mouloud Mammeri Amusnaw ».
En guise de préface, entretien inédit avec Pierre Bourdieu (160 p). Boussad Berrichi a dirigé récemment le collectif Tamazgha francophone au féminin (collectif, 350 p). Parus aux éditions Atlantica-Séguier (www.atlantica.fr). Il est aussi éditeur scientifique des 2 tomes : Mouloud Mammeri, écrits et paroles, publié par le CNRPAH d’Alger, juin 2009 (tome1 :311 p ; tome 2 : 278 p).

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