Manifestation du 17 Ocotbre 1961 à Paris ordonnée par le FLN

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17 octobre 1961
17 octobre 1961

Officiellement, le commanditaire de cette grave atteinte aux droits de la personne humaine était le préfet de police d’alors, un certain Maurice Papon. Cependant, les jeunes d’aujourd’hui aussi bien kabyles, algériens que français pensent que si la responsabilité de Maurice Papon n’était pas des moindres dans ces actes qui ont porté un sérieux coup à la réputation de la France en matière des Droits de l’Homme, il n’en demeure pas moins que l’ordre était venu de personnages plus importants que lui; donc des gens du gouvernement. Par conséquent, pense-t-on aujourd’hui, c’est suite à l’indépendance de l’Algérie; donc à l’échec lamentable de la répression en Algérie et en France que les hauts responsables français d’alors, comme d’ailleurs ceux d’aujourd’hui, ont fait porter le chapeau au préfet Maurice Papon pour cet acte particulièrement odieux. Ce triste passage de l’histoire de France sera sans doute éclairé un jour.

Notre objectif n’est pas de laver Maurice Papon de ses crimes, d’autant plus qu’il est établi aussi que durant les années d’occupation de la France par les armées hitlériennes, il manifestait un plaisir sadique à voir monter les Juifs dans les trains pour un voyage sans retour. Cependant, les Israéliens ont fini par sanctionner l’homme qui a fait beaucoup de mal à leurs aînés alors que les responsables algériens, pourtant d’habitude fort goinfres dans leur majorité, perdent jusqu’à l’appétit, rien qu’en entendant un fifrelin concernant la guerre d’Algérie. Tout de même, ce qui s’est réellement passé entre 1954 et 1962 sera connu un jour dans les moindres détails. Idem concernant ceux et celles qui ont réellement affronté la France coloniale. Le tout n’est qu’une question de temps.

En attentant ce grand jour où la vérité triomphera devant le mensonge, contentons-nous d’écrire et de réécrire sur cette période sanglante. En ce début donc de la décennie 1960, le Front de Libération Nationale (FLN) a marqué des points tant sur le terrain des opérations militaires que sur celui du politique. Le Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), dont la diplomatie était dirigée par Krim Belkacem, a réussi à faire rallier à sa cause même les capitales occidentales en exhibant la carte du pétrole.

Le socialisme soviétique et le communisme chinois sont un danger moindre que le pétrole du Sahara algérien entre les mains de la France capitaliste. Avec les puits de pétrole et des gisements gaziers entre ses mains, la France qui maîtrise la science et la technologie de pointe peut devenir facilement une super-puissance aussi bien économiquement que militairement. Par contre, si le pétrole et le gaz se trouvaient entre les mains du FLN qui ferait des échanges commerciaux avec tous les pays selon ses intérêts, les chances pour la France de devenir une super-puissance économique et militaire seront fort réduite.

Le GPRA a si bien développé ses thèses que même les Anglais ont « oublié » les malheurs et les moments de gloire qu’ils ont partagé avec les Français durant les guerres de 1914-1918 et 1939-1945 pour ne se rappeler que leurs rivalités des siècles passés. Les Américains aussi ont « oublié » que le sol a été fortement arrosé par le sang français dans leur guerre d’indépendance (1776-1783). Krim Belkacem et ses camarades savaient que le sentiment n’a jamais pesé devant l’intérêt économique. Et dès lors qu’il a réussi à convaincre les Américains et les Anglais, le FLN, soutenu déjà par le bloc soviétique et les pays non alignés, a gagné à sa cause tous les pays de la planète.

C’est pourquoi en ce début de la décennie 1960, la France a décidé de combler son vide politique par le renforcement de l’action militaire. Le FLN était fort conscient de cette réalité aussi. C’est pourquoi la journée du 17 octobre 1961 a été mûrement réfléchie aussi. La raison officielle de cette manifestation mémorable était de protester contre le couvre-feu imposé déjà depuis longtemps aux Algériens par les autorités françaises à partir de 20h30 jusqu’à 5h30.

D’autre part, les débits de boissons gérés et fréquentés par les Algériens devaient être fermés à parti de 19 heures. La note de service n°149-61 du 05-10-1961 du directeur général de la police municipale, Maurice Legay, stipule : « Je vous communique ci-dessus le texte d’un ordre du jour que vient de me faire parvenir M. le préfet de police et qui annonce la mise en application de mesures qui rendront plus facile le contrôle du milieu FMA (Français musulmans d’Algérie, ndlr). Vous voudrez bien le porter à la connaissance du personnel placé sous votre autorité en le faisant lire à trois appels et en le faisant afficher dans les postes et locaux de vos services ».

Quant à cet ordre du jour en question de Maurice Papon, le voici : « Dans le cadre des mesures prises pour neutraliser le terrorisme algérien et accroître la protection des personnels de police, j’ai décidé de prononcer le couvre-feu, pour les Français musulmans d’Algérie, de 20h30 à 5h30 du matin.

D’autre part, les débits de boissons tenus et fréquentés par les Français musulmans doivent être fermés à partir de 19 heures.

Enfin, tout Français musulman circulant en voiture doit être interpellé et, en attentant la décision du commissaire de police ou du service de coordination des affaires algériennes, la voiture sera provisoirement mise à la fourrière.

Cet ensemble de dispositions doit faciliter les contrôles des services de police et l’efficacité de leur surveillance dans de meilleures conditions de sécurité pour le personnel ».

Notons que l’obligation de fermeture des débits de boissons gérés par les Algériens est précisée par la circulaire n°41-61 et annoncée le 07-10-1961 par le directeur général de la police.

Devant de telles mesures draconiennes, le coordinateur principal de la Fédération FLN de France, Mohand-Saddek Mohammedi, adresse en urgence un courrier au Comité Fédéral basé en Allemagne où il le presse de prendre des dispositions pour contrecarrer les mesures arrêtées par les autorités françaises.

Dans la même missive, son rédacteur fait également au destinataire des propositions que voici : «
– 1- Les Algériens ne doivent tenir aucun compte des conseils, recommandations ou menaces du sieur Papon;
– 2- En conséquence, les Algériens devront sortir aussi nombreux que possible à partir de 20h30;
-3- Toujours dans le même esprit, les Algériens sortiront au contraire par groupe de trois, ou quatre ou plus pour se promener le soir après une dure journée de labeur. En outre, nous pouvons envisager que les familles algériennes dont les femmes et les enfants sortent, et ce, dans les agglomérations et quartiers à forte concentration algérienne. Dans ce cas, vous pouvez et nous devons ici sur place mettre au pied du mur le peuple français. Les partis politiques et syndicats démocratiques « conseilleraient » à leurs militants de sortir, aussi nombreux que possible, à partir de 20h30 pour s’intégrer s’il le faut aux paisibles promeneurs algériens et s’opposer, s’il y a lieu, aux provocations de la police ».

Trois jours plus tard, soit le 10 octobre, le Comité Fédéral se réunit à Cologne (Allemagne) pour examiner la situation signalée par Mohand-Saddek Mohammedi ainsi que ses propositions. Celui-ci est convoqué à Cologne et s’y rend en traversant la frontière en se déguisant en mineur. Les deux parties ne sont pas d’accord sur la manière d’organiser la manifestation. Le Comité Fédéral veut que les Algériens manifestent pacifiquement alors que Mohand-Saddek veut que les Algériens ripostent aux attaques. « Resterons-nous les bras croisés si la police tire ? », dit-il. Boudaoud du Comité Fédéral lui répond : « Quiconque aura ne serait-ce qu’une épingle sur lui sera passible de la peine de mort. ». La date du 14 octobre est proposée mais est vite rejetée pour le motif l’impossibilité d’assurer les préparatifs. Le jour du mardi 17 octobre à 20 heures est alors arrêté.

Voici dans son intégralité la circulaire du comité fédéral de la Fédération de France du FLN du 10 octobre 1961, rédigée par Ali Haroun, responsable de la Direction de la propagande et de l’information et signée par Kaddour Ladlani, responsable de l’organique :

« Cher frère,

Reçu votre courrier du 07.10.1961.

Après étude de la situation créée par les nouvelles mesures répressives prises (couvre-feu), transferts en Algérie, exécutions sommaires de compatriotes) et après avoir pris connaissance de votre rapport du 07 octobre 1961 , le comité fédéral a pris les décisions suivantes :

Les mesures énumérées doivent être combattues énergiquement par une action en trois phases :

1ère phase :

– 1) Les Algériens boycotteront le couvre-feu. A cet effet, et à compter du samedi I4 octobre I96I, ils devront sortir en compagnie de leurs femmes et de leurs enfants, en masse.

Ils doivent circuler dans les grandes artères de paris. Exemple : Champs Elysées, boulevards Saint-Michel, Saint-Germain, Montmartre, etc…
– 2) Les commerçants ayant des établissements fixes doivent fermer durant 24 heures en signe de protestation contre le couvre-feu à caractère raciste qui est imposé à nos compatriotes cafetiers et restaurateurs. Cette fermeture aura lieu le lendemain du boycott massif, c’est-à-dire le dimanche I5 octobre I96I.

Observations :

a) Vous devez faire votre possible afin d’appliquer les points ci-dessus aux dates indiqués. Au cas où le temps ne vous le permettra pas, déclenchez ces opérations au plus tard mardi 17 octobre 1961.

b) Les deux premiers jours de boycott avec participation de toute la colonie algérienne de Paris et sa banlieue (femmes, enfants, vieux, jeunes, hommes, etc.) doivent être spectaculaires. A partir du troisième jour, tous les hommes sortiront normalement comme par le passé, comme si la mesure du couvre-feu n’existe pas. L’action des commerçants devra toujours se faire le lendemain du boycott massif.

c) Les cadres importants, permanents, recherchés doivent éviter toutes ces manifestations par mesure de sécurité.

-3) Comme il est à prévoir des arrestations ou des internements, il convient de préparer les femmes à une manifestation avec les mots d’ordre suivants :

– A bas le couvre-feu raciste,
– Libération de nos époux et de nos enfants,
– Négocier avec le GPRA,
– Indépendance totale de l’Algérie, etc.

La manifestation aura lieu devant la préfecture de police le troisième ou le quatrième jour après le déclenchement du boycott du couvre-feu. A cette occasion, faites votre possible pour faire participer le maximum de femmes algériennes, faites en sorte que la manifestation soit encadrée par des militants expérimentés, évitez les provocations de tous bords.

– 4) durant toute cette première phase, l’action d’éclaircissement de l’opinion grâce à la diffusion massive du papier qui vous parviendra expliquant notre position et dénonçant le couvre-feu raciste et toutes les mesures répressives récemment prises par Papon. Nous attendons les précisions indispensables pour la rédaction de ce papier. Nous insistons sur la nécessité de nous envoyer d’extrême urgence tous les renseignements concernant les exécutions sommaires déjà citées dans votre dernier rapport ainsi que les méfaits dont se sont faits responsables les policiers abattus.

2ème phase :

Selon les développements de la première phase de l’action qui se déroulera à Paris, il est à prévoir l’extension de l’action à l’ensemble de la France. A cet effet, nous prévoyons le programme suivant :

-1) Action de solidarité sous forme de manifestation des femmes algériennes devant les préfectures des grands centre de province avec les mêmes slogans ci-dessus.

– 2) Pour votre information : Les autres services de la Fédération développeront une action d’information et d’explication auprès des partis politiques, syndicats, milieux universitaires, personnalités de gauche, etc…, pour leur demander le soutien approprié.

3ème phase :

Déclenchement d’une grève générale de tous les Algériens. La durée de la grève est de 24 heures. Le lundi est à suggérer. Les commerçants participeront à cette grève générale par la fermeture de leurs établissements. Pour information : les détenus algériens dans toutes les prisons feront la grève de la faim le même jour que la grève générale. Les étudiants feront la grève des cours si ceux-ci auront commencé.

Observations générales :

Mettre en application la première phase qui concerne la région parisienne seulement. Au fur et à mesure du déroulement de chaque action, nous tenir au courant par des rapports détaillés.

Après l’application de la première phase, ne passez à la deuxième puis à la troisième qu’après directive expresse de la Fédération. Fraternellement, Kr ».

En cette du journée donc du mardi, 17 octobre 1961 à 20 heures, la bruine d’automne mouille les toits d’immeubles et les pavés de Paris. La ville brille de tous ses feux. Les Parisiens et les Parisiennes sont par milliers dans la rue. Certains couples se rendent au restaurant. D’autres, les amoureux surtout, font la file devant les guichets de cinéma. Depuis quelques années déjà, un jeune acteur français tient la dragée haute à Marlon Brandon et John Wayne. C’est Alain Delon. Les femmes sont folles de lui. Il est hors de question pour les Parisiennes de rater la projection d’un film montrant le physique de cet Adonis conjugué aux temps modernes. Pour les Algériennes et les Algériens, il n’est question ni de Marlon Brando, ni de John Wayne, ni du très beau jeune homme français. Pour eux, il s’agit d’affronter l’interdit dans toute sa rigueur.

De la place de l’Etoile jusqu’à Bonne Nouvelle, de la place de l’Opéra, de la Concorde, de la porte de Neuilly et d’ailleurs, des hommes, des femmes et des enfants crient à qui veut les entendre que l’Algérie appartient aux Algériennes et aux Algériens.

Les milliers de voix masculines et féminines scandent en chœur : « A bas les mesures racistes et discriminatoires; Libérez des sœurs et des frères détenus; Négociations avec le GPRA; Indépendance totale de l’Algérie. ».

L’intervention de la police ne tarde pas. Elle est d’une férocité indescriptible. Tous les moyens de répression sont permis. Tirs avec arme à feu et à volonté, coups de bâton et de matraque, le ramassage dans les cars de police pour la prison et tant d’autres actes répressifs.

Beaucoup d’hommes et de femmes ont été jetés dans la Seine pour y mourir par noyade. Selon des recherches, 393 morts et disparus sont dénombrés en septembre et octobre 1961 dont 159 à partir du 17 octobre.

Certains morts n’ont jamais été identifiés. Le 27 octobre, le bilan des arrestations est de 14.094, chiffre communiqué par le préfet de police et confirmé le 31 octobre par le ministre de l’intérieur au sénat, selon le document élaboré par M. Ahmed Arrad, Secrétaire National de l’Organisation Nationale des Moudjahidine (SNONM) et cadre dirigeant de l’ex-Fédération FLN de France.

Addenda :

Portrait de la martyre Fatima Bedar; une lycéenne de 15 ans jetée par la police dans le canal Saint-Denis à Paris lors des manifestations d’Octobre 1961.

La martyre Fatima Bedar est née le 5 août 1946 à Béjaia (acte de naissance n° 174). Elle est d’une famille modeste. Son père a émigré en France pour y travailler et subvenir aux besoins de la famille.

C’est en 1951, alors âgée de 5 ans, que la petite Fatima quitte son Béjaia natal en compagnie de sa mère pour rejoindre son père. Celui-ci est ouvrier salarié chez Gaz de France. Sa mère, illettrée, est femme au foyer. Durant la seconde guerre mondiale, le père de Fatima a été mobilisé. Il a été fait prisonnier par les Allemands mais réussit à s’évader. Ensuite il rejoint son bataillon et part faire la campagne d’Italie. Il est démobilisé en 1945.

La famille Bedar habite d’abord la ville de Sarcelles avant de la quitter pour Stains- Saint Denis. Après l’école, Fatima, aînée de la famille, aide de ses petites mains sa mère dans les tâches ménagères. A vrai dire, elle s’occupe surtout de son frère cadet et de ses petites sœurs. Fatima fait ses études au collège commercial et industriel féminin, sis à la rue des Boucheries à Stains. Elle n’a que 15 ans en cette année 1961.

En cette journée du 17 Octobre, sa mère lui demande de revenir le plus tôt possible à la maison pour garder son frère et ses sœurs car les parents devraient se rendre à la manifestation, décidée par les frères. Fatima, mécontente du rôle que sa mère lui attribue s’y oppose. Elle exprime fermement à ses parents son désir de les accompagner. « II n’en est pas question !», lui rétorquent-ils avec autorité. C’est alors la grande dispute. L’accrochage de Fatima a lieu surtout avec sa mère. Après le départ des parents, Fatima décide de sortir pour aller à la manifestation. Sa petite sœur Louisa la voit partir en courant.

Le soir venu, Fatima ne rentre pas à la maison. Le lendemain non plus. Les jours suivants, non plus. Les recherches parentales sont vaines. Puis un soir, le paternel rentre à la maison avec le cartable de sa petite Fatima tant chérie.

Le 31 octobre on retrouvera finalement le corps sans vie de Fatima dans les profondeurs du canal de Stains. Ce sont les ouvriers chargés du nettoyage de la grille de la 7ème écluse du canal qui font la macabre découverte. Le frêle corps était retenu par la grille d’une turbine.

Le 17 octobre 2006, soit 45 ans après sa mort, les restes du corps de la martyre Fatima Bedar sont ramenés à sa terre natale. C’est au cimetière du village qu’elle a été à nouveau inhumée.

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