Voyage dans les villes fantômes de Libye

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Yefren, Gualich, Aweinya, Zawit Bagoul, Ryana… La liste des villes fantômes s’allonge dans le Djebel Nefousa, à mesure de l’avancée des rebelles sur ce plateau collé à la frontière tunisienne, au nord-ouest de la Libye. Curieux spectacle, sans équivalent ailleurs dans ce pays en guerre depuis plus de quatre mois, que ces localités, vidées précipitamment de leurs habitants, qui ont fui, la peur au ventre, tantôt les troupes de Kadhafi, tantôt celles de la rébellion.

Traverser les rues désertes d’Aweinya vous rappelle une visite à Pompéi. Les 15.000 habitants de cette bourgade noyée sous le soleil ont tout laissé derrière eux. Le coiffeur n’a pas pris soin de balayer les cheveux qui traînent sur le sol carrelé de sa boutique. Les peignes sont là, disposés devant les glaces et les deux fauteuils noirs semblent attendre d’être réglés à la taille du prochain client. Quelques rues plus loin, le mécanicien a laissé en plan ses outils et nombre de pièces de rechange. Passent quelques chiens morts de soif et des poules en piteux état. Pas un souffle de vent, peu d’ombre, pas un bruit.

Au hasard des maisons visitées, le spectacle change de nature: elles ont toutes été saccagées ou pillées. Entre les amoncellements de matelas, de jouets d’enfants, de vêtements épars, les cadres où figuraient les photographies en noir et blanc des ancêtres ont été brisés. Les posters de Kadhafi ont été déchirés en mille morceaux. Sur le mur d’une habitation, les combattants victorieux ont signifié leur haine du dictateur, et fièrement apposé la signature de leur ville – Nalut, Yefren, Zenten -, comme pour témoigner de l’union du Djebel Nefousa contre les «traitres» demeurés fidèles au Colonel honni.

«Jamais les gens d’Aweinya ne reviendront», assure notre chauffeur qui, comme tout habitant de Zenten, avoue détester ceux qu’on appelle les Michachya. On entre ici de plain-pied dans les ancestrales bisbilles entre montagnards. Il y a plusieurs siècles, venue du désert, la tribu bédouine des Michachya a poussé ses chèvres dans le Djebel Nefousa, puis s’est installée, non loin de Zenten, à Aweinya. Les gens de Zenten, qui possédaient toutes les terres alentour, ont, de leur cité perchée, regardé de haut ces nouveaux venus à la recherche de quelques lopins de terre. Le machiavélique dictateur libyen d’origine bédouine s’est efforcé durant quarante-deux ans de diviser pour mieux régner en soutenant, administrativement et financièrement, ceux d’Aweinya contre ceux de Zenten.
Règlements de comptes

Cette guerre civile a permis de régler les comptes. Les Michachya, qui ont accueilli et soutenu les troupes de Kadhafi, sont partis avec elles. En face d’Aweinya, le hameau rural lové entre les oliveraies de Zawit Bagoul, est également désert. Les quelque 5000 Michachya qui y vivaient sont, eux aussi, retournés dans le désert, au sud, ou partis en Tunisie ou vers Tripoli. Où qu’ils soient, sans doute, rêvent-ils sous leurs abris de fortune de prendre leur revanche, si les troupes de Kadhafi parviennent, ce qui paraît aujourd’hui peu probable, à les ramener chez eux.

À Yefren, la ville berbère plantée en haut d’un pic rocheux à l’est du Djebel Nefousa, le retour à la maison n’est qu’une question de temps. Aujourd’hui, seule une petite centaine d’hommes occupent cette ville où vivaient il y a quelques mois encore 20.000 à 30.000 personnes. Tout le monde a fui, quand les troupes de Kadhafi ont, après deux tentatives infructueuses, pris leurs quartiers au centre de cette cité qui, malgré les destructions, a conservé son charme. Les familles se sont réfugiées dans les villages alentour ou en Tunisie. Le 2 juin dernier, les combattants berbères ont libéré Yefren. Mais l’électricité n’est toujours pas totalement revenue et l’eau, l’essence et la nourriture arrivent chichement par camions de Tunisie. «Nous allons voir nos familles là-bas, et nous leur disons d’attendre encore», explique Kamel, qui regrette que la situation ne s’améliore que si lentement. Des patrouilles de rebelles arpentent les rues désertes et veillent sur les maisons demeurées vacantes. Une présence est assurée, à des horaires variables, dans un bâtiment où se croisent parfois les représentants de cette municipalité. L’antenne locale de la rébellion du Djebel Nefousa a ouvert non loin. On peut, à pied, se rendre aussi à l’hôpital d’une cinquantaine de lits qui, lui, n’a jamais cessé de fonctionner, grâce à son générateur. Il n’a pas souffert de l’occupation des forces du régime et soigne encore une dizaine de combattants, dont trois soldats de Kadhafi. «L’autre jour, se lamente cependant le docteur Mohamed Abudia, on a eu deux coupures d’électricité pendant une opération.»

Entre Yefren et Zenten, le hameau de Ryana, divisé en deux gros bourgs où vivaient avant guerre quelque 20.000 personnes, est un autre exemple de cité fantôme du Djebel Nefousa. Un peu plus complexe, car la population s’est divisée, quasiment à part égale, entre supporteurs de Kadhafi et partisans de la rébellion. Unique personne rencontrée ce jour-là à Ryana, Abdelassin Massaout arbore les couleurs de la rébellion, sa kalachnikov posée sur le pas-de-porte de sa maison. Sa famille s’est réfugiée à Rujban. «Les pro-Kadhafi sont partis à Tripoli», assure ce quadragénaire édenté. «Mais tout le monde va revenir», ajoute-t-il. Tout le monde ? «Bah oui, enfin, se reprend l’homme, tous ceux qui sont pour une Libye libre.»

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