France-Algérie : La Kabylie au cœur de l’éternel malentendu

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CONTRIBUTION (Tamurt) – Les relations franco-algériennes peuvent-elles, un jour, se normaliser ? On peut toujours en rêver. Près de 50 ans après la décolonisation, la défiance entre Alger et Paris reste telle que la photo de famille trône toujours, côté algérien, sur le bureau des rancœurs et côté français sur celui de l’incompréhension et du malentendu. On se souvient que pour M. Kouchner, exaspéré, il y a lieu de faire le deuil de cette possibilité, au moins jusqu’à la fin de la génération de la guerre d’Algérie.

Le ministre algérien des Affaires étrangères, M. Medelci, interviewé le 25/10/2010 sur la télévision satellitaire « Canal Algérie »a préféré de son côté incriminer les « erreurs de parcours » de la France.

Les tensions entre les deux pays sont quasi permanentes. Au-delà des atrocités de la guerre d’indépendance (1954-1962) la menace de criminaliser le passé colonial français par le pouvoir d’Alger met à vif les nerfs de la diplomatie française depuis des décennies. De l’autre côté, Alger ne supporte pas deux éléments de la culture politique française : 1) l’indépendance de la justice
française qui a permis, en 2008, de mettre sous contrôle judiciaire un diplomate algérien dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat à Paris en avril 1987 de Me Ali Mecili. 2) la liberté citoyenne dont jouissent les opposants kabyles à Paris où ils ont pu mettre sur pied, le 1er juin 2010, leur Gouvernement provisoire, l’G.P.K..

Depuis la consolidation du régime militaire par le coup d’État de Boumediene en 1965, les relations franco-algériennes n’ont cessé de s’envenimer. Du refus d’entrée du vin algérien sur le territoire français en 1968, à la nationalisation, en février 1971, des hydrocarbures exploitées par des compagnies françaises en Algérie, du déclassement de la langue française dans l’enseignement
algérien à la condamnation par la France de l’arrêt du processus électoral par les militaires algériens en janvier 1992, l’implication des militaires algériens dans l’assassinat des moines de Tibehirine (1995) chaque année a connu ses poussées de fièvre entre les deux pays. Cet état de fait a donc une permanence qu’il serait illogique d’attribuer au hasard ou aux caprices de quelques personnes momentanément investies de charges nationales. Les positions respectives, structurées par l’histoire, sont pour partie culturelles et, pour une autre, politiques.

Certes, au commencement, il y avait la colonisation. La conquête d’Alger en juillet 1830 avait été vécue côté français comme celle du pays de cocagne, du pays des « Mille et une nuits ». Les élites françaises développaient un orientalisme débridé que sublimaient les récits de voyage et les tableaux
de peinture, tels ceux de Delacroix. La France du XIXe Siècle croyait sa victoire militaire de nature à lui assurer la régence d’un « royaume arabe ». La reddition de l’Émir Abdelkader en 1848 renforça l’illusion d’une victoire définitive permettant d’y établir pour l’éternité un DOM-TOM français. C’est la conquête de la Kabylie, à partir de 1857, soit près de 27 ans après le débarquement français à Sidi Ferruch, qui va donner des insomnies au gouverneur d’Alger et à Napoléon III. Malgré leur défaite à la bataille d’Icherriden, les Kabyles se réorganisèrent et s’insurgèrent massivement en 1871 et faillirent emporter l’ordre colonial dans leur élan. C’est l’intégration de la Kabylie dans l’Algérie
française, à partir de là, qui sera à l’origine de la guerre de décolonisation. L’épisode de 1871 fut un tel point de rupture entre les Kabyles et le régime colonial que les deux parties se traitaient en ennemis jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. La colonisation, à tort, n’a jamais cherché à s’allier aux Kabyles qui, chaque jour, ruminaient leur revanche, selon la formule prêtée à Léon Gambetta : « y penser toujours, n’en parler jamais ! ».

En concevant l’Algérie comme une colonie de peuplement, la France en a élargi le territoire au point d’y inclure de nombreux peuples, particulièrement les Kabyles. Cette diversité identitaire avait aussi pour objectif de ne pas permettre d’union entre les indigènes contre les colons.
Les gouvernants de l’époque ne savaient pas que la condition de colonisé suffisait à elle seule pour liguer les autochtones contre un ordre colonial inique. On croyait que le tribalisme et les querelles « ethniques » étaient de solides garanties pour l’ordre établi. On sait aujourd’hui qu’il n’en était rien.

L’alliance des indigènes contre le colonialisme a eu raison de la colonisation. Ce que l’on ignorait et que l’on continue de ne pas voir c’est que cette alliance n’était que conjoncturelle. À l’indépendance, la lutte pour le pouvoir entre les ex-alliés est sans merci. Héritant d’un pays commun légué par la colonisation, le premier à s’en emparer s’échina coûte que coûte à le garder entier pour en profiter au maximum. Pour cela, il n’y avait pas d’autre choix que la dictature.

L’angle mort du champ de vision aussi bien de la France que de tous les anciens pays colonisateurs cachait l’inexistence de nation dans beaucoup de pays créés par la colonisation. Il n’y avait pas d’Algérie en 1830, il n’y a pas de nation algérienne aujourd’hui. Il y a une mosaïque de nations opprimées par un seul et même État. Les troubles qui s’y déroulent, les luttes de clans au sommet de
l’État, les diverses décisions politiques qui se prennent, les mascarades électorales ont bien souvent pour soubassement des considérations identitaires, voire nationalitaires.

Les tentatives de réchauffement des relations diplomatiques entre l’Algérie et la France sont, par conséquent, toujours vouées à l’échec. A la demande française d’un minimum de respect de la démocratie et des droits de l’homme, réplique celle d’un renoncement de la France à ses valeurs et à sa laïcité. Quand bien même elle le souhaiterait, l’Algérie est prisonnière de sa base sociale qu’elle
nourrit depuis bientôt 50 ans à l’arabo-islamisme et à la haine de la France. Ce dialogue de sourds est celui des couples qui ne regardent plus dans la même direction. L’Algérie se saisit de n’importe quel motif de discorde pour faire payer à la France de lui avoir légué la question Kabyle.

La lutte quotidienne des Kabyles pour leur survie et leur dignité est celle qui marque au fer rouge, depuis 1962, l’histoire de l’Algérie. Elle ne peut qu’aboutir dès lors qu’au partage du pouvoir se refusent les tenants du régime, de crainte de perdre les leviers de commande. L’idée d’une autodétermination que porte la Kabylie est devenue l’aspiration profonde de son peuple.

Alors, la meilleure manière de contrer les Kabyles dans leur quête politique de liberté, de laïcité et de respect des droits humains, est de les lyncher médiatiquement de manière permanente, de nourrir la haine contre eux et contre tout ce qui leur est associé : la France, l’Occident, les Juifs et la
chrétienté. De ce point de vue, le combat kabyle est aussi celui du monde libre. Les dernières sorties de deux ministres algériens (intérieur et Islam) illustrent avec une pointe de racisme intolérable, l’exaspération d’un pouvoir devant un peuple qui lui tourne définitivement le dos. Le premier accuse la Kabylie de faire le lit d’Al Qaeda, le second, au contraire, de s’évangéliser. Comme si les
évangélistes étaient des islamistes et inversement. Ils participent ainsi, chacun à sa façon, à une montée aux extrêmes entre la Kabylie et l’ordre en place.

La France qui avait méprisé la diversité identitaire des Algériens pendant la colonisation ne peut appréhender, de nos jours, la véritable nature du gouvernement algérien qui la contre depuis le 19 mars 1962. Si, depuis bientôt un demi-siècle, les relations franco-algériennes n’ont pas pu être
empreintes d’un minimum de sérénité, il y a lieu de parier que cela ne changera pas de sitôt.

En tant que Kabyles, nous regardons amusés la patrie des droits de l’homme, cette ancienne « fille aînée de l’Église », toujours nostalgique d’orientalisme, incapable de comprendre que la créature qu’elle a engendrée, soit si dévorée par la passion islamiste et la haine de sa génitrice. En attendant, M. Manuel Valls, M. Laurent Fabius et, aujourd’hui M. François Hollande peuvent toujours se rendre à Alger où les doléances qu’on leur présente sont généralement aux antipodes des valeurs de la France.

Ferhat Mehenni Président du gouvernement provisoire kabyle.

Auteur de « Algérie, la question kabyle » aux Éditions Michalon (2004) et

« Le siècle identitaire » novembre 2010 chez Michalon Editions

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