Seïdh Chalah – L’enseignement de la langue « Tamazight-Berbère » (en Algérie de 1995 à 2011)

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Cet article présentera : un « aperçu historique » sur la « revendication amazighe/berbère ou kabyle », les différents « acquis » et le bilan de « l’introduction de tamazight » dans le système éducatif algérien (de 1995 à 2011).

1- L’enseignement de « tamazight/berbère » en Algérie et les droits culturels et linguistiques des minorités berbérophones :

La politique linguistique de l’Algérie s’inscrit dans un modèle idéologique de langue nationale et officielle unique avec un système éducatif qui a toujours exclu « la langue tamazight » [et l’arabe dialectal] de l’enseignement et qui a encouragé l’arabisation aveugle. Le Pouvoir algérien ne s’est jamais soucié du maintien et de l’avenir de « tamazight/berbère ». Après avoir prôné une politique d’assimilation [qui ne dit pas son nom] qui visait [et vise encore] l’anéantissement et l’éradication de « tamazight/berbère » en encourageant et accélérant le processus d’arabisation, le Régime algérien a fini par « céder » sur certains points de la revendication « amazighe/berbère ».

Le semblant de reconnaissance que « les militants de la cause » et « la Kabylie » ont pu arracher des mains du Pouvoir n’est rendu possible que « grâce » à la menace islamiste qui pesait sur les institutions de la République dans les années 1990 (Ait-Kaki 2004 : 108-109). C’est dans une stratégie électoraliste d’alliances pour se maintenir et pour faire participer la Kabylie aux différents processus électoraux que le Régime a accordé :

(1-) la création de deux départements de langue et culture amazighes, l’un à l’Université de Tizi-Ouzou [1990] , l’autre au Centre universitaire de Béjaia [1991],

(2-) l’introduction de « tamazight » dans le système éducatif algérien [à partir de 1995/1996],

(3-) la reconnaissance de « tamazight » comme « langue nationale » [en 2002].

La revendication du multilinguisme/multiculturalisme par l’élite kabyle date des années 1940 au sein même du Mouvement national. Après l’Indépendance, la lutte pour les droits culturels a beaucoup évolué et différentes mouvances ont vu le jour pour la reconnaissance de « tamazight/berbère » et la démocratisation du pays. Du MCB au MAK (en passant par le RCD et la CADC ), la région est la même, les hommes sont presque les mêmes mais les plates-formes de revendications ont changé et évoluent encore : d’une « revendication des droits culturels et identitaires » à celle d’une « autonomie régionale pour la Kabylie ». Mais, l’attitude du Pouvoir n’a pas beaucoup changé : de « la répression » à « un semblant de reconnaissance ».

(1-) C’est à partir de 1990 que le Pouvoir -pour des raisons purement électoralistes- a décidé de permettre l’ouverture d’un département de langue et culture amazighes à l’Université de Tizi-Ouzou, où des enseignements de berbère seront assurés pour former des magisters [Bac+6/7] dans trois options : linguistique, littérature et civilisation. Une année plus tard, un autre département de langue et culture amazighes fut ouvert au Centre Universitaire de Béjaïa.

(2-) Après une année de « boycott scolaire/grève du cartable » de 1994/1995 (cf. Mohellebi 1998) et pour faire participer la Kabylie aux élections présidentielles programmées pour novembre 1995 [pour des raisons encore une fois électoralistes] le Pouvoir entame des négociations avec le MCB-Coordination Nationale (proche du RCD) et certaines organisations et associations de Kabylie. Ce qui va aboutir à l’introduction de « tamazight » dans le système éducatif algérien et à la création du « Haut Commissariat à l’Amazighité » chargé de la promotion de la langue et de la culture amazighes.

En 1996, « l’Amazighité » apparait dans le préambule de la constitution comme élément de l’identité nationale :

Préambule (la Constitution de la RADP du 08 décembre 1996) :

« (…) les composantes fondamentales de son identité (…) sont l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité (…) » .

(3-) Durant les événements du « Printemps Noir » de 2001 qui ont coûté à la Kabylie : 126 morts et des milliers de blessés, et à l’approche des élections législatives (30 mai 2002), le Pouvoir céda en accordant le statut de langue nationale à « tamazight » [avril 2002] :

La Constitution de la RADP de 2002 [Loi n° 02-03 du 27 Moharram 1423 correspondant au 10 avril 2002 portant révision constitutionnelle (JORADP N°25 du 14 avril 2002)] :

« Article 03 bis

– tamazight est également langue nationale

– l’Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés en usage sur tout le territoire national ».

Mais, ce statut de «tamazight [est aussi] langue nationale …» n’est, en réalité, qu’un « statut symbolique » [sans aucune application/traduction sur le terrain]. Et cela peut se vérifier rien qu’en évaluant l’état de l’introduction de « tamazight/berbère » dans le système éducatif algérien.

2- L’enseignement de « tamazight/berbère » dans l’école algérienne : de 1995/1996 à 2010/2011 [bilan] :

L’enseignement de « tamazight/berbère », contrairement au discours officiel [amplifié et diffusé par les représentants des institutions étatiques], ne requiert aucune attention particulière de la part du Ministère [algérien] de l’Education Nationale. Aucun effort de la part du gouvernement pour rattraper le retard accumulé depuis son lancement en 1995/1996. L’introduction de « tamazight/berbère » dans le système éducatif algérien est caractérisée par une succession de bricolages et d’échecs (Nabti et Tigziri 2000 ; Laceb 2002 ; Bilek-Benlamara 2004 ; …) avoués [mais non assumés] par les institutions étatiques [HCA et CNPLET ] chargées de les « promouvoir ».

Plusieurs chercheurs (et/ou membres du couple HCA/CNPLET) ont évalué « l’introduction de tamazight/berbère dans le système éducatif algérien » en s’intéressant à l’évolution des effectifs d’apprenants et leur répartition régionale, aux différents « profils » des enseignants de cette matière, aux différentes directives (circulaires du Ministère de l’Education nationale) accompagnant cet enseignement, aux programmes et aux différents manuels de « tamazight/berbère » (cf. Kahlouche 2000 et 2003 ; Nabti et Tigziri 2000 ; Laceb 2002 et 2004 ; Bilek-Benlamara 2004 ; Ait-Mimoune 2010 ; …). Le Haut Commissariat à l’Amazighité organise régulièrement des Colloques, des Journées d’Etudes et des stages portant sur la même thématique (cf. HCA 2008 ; HCA 2009 ; …). Et tout le monde s’accorde à dire que l’introduction de « tamazight/berbère » dans le système éducatif algérien est en recul.

Tableau n° 01 : Nombre* et pourcentage*** d’élèves qui suivent les cours de berbère [kabyle et autres] par rapport au nombre** d’élèves scolarisés par année de 1995/1996 à 2010/2011. (Voir le tableau dans le document joint en pdf)

Tableau n° 02 : Pourcentage* d’élèves qui suivent les cours de berbère [E.S.C.B.] et le pourcentage** de ceux qui n’ont pas le berbère dans leurs programmes [E.N.S.P.C.B.] par année de 1995/1996 à 2010/2011.(Voir le tableau dans le document joint en pdf)

L’enseignement de « tamazight » à l’échelle nationale, et après seize ans de son introduction, n’a jamais touché plus de 03% d’élèves scolarisés (cf. le graphique n°01, les tableaux n°01 et n°02). Il n’arrive pas [plus] à « décoller ».

Tableau n° 03 : Evolution des effectifs d’apprenants qui suivent les cours de berbère [kabyle et autres] par wilaya [département] et par année de 1995/1996 à 2010/2011.(Voir le tableau dans le document joint en pdf)

Même si les chiffres avancés par le Ministère de l’Education Nationale, depuis 1995/1996, montrent une « augmentation » du nombre des apprenants qui suivent les cours de « tamazight/berbère » (cf. figure 02), il est à relever que toutes les régions n’enregistrent pas de progression de leurs effectifs de la même manière. Le nombre des wilayas où « la langue tamazight » est enseignée est passé de seize [16] au début [1995/1996] à dix [10], en 2010/2011 (cf. tableau n° 03 et les cartes n° 01 et 02). A l’exception des wilayas de Kabylie (cf. tableau n° 03) et celle de Batna, ailleurs, le nombre des apprenants qui suivent des cours de « tamazight » a stagné.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, l’enseignement de « tamazight/berbère » ne requiert aucune attention particulière de la part du gouvernement algérien. Aucun effort et aucune mesure n’est à attendre de leur part pour rattraper le retard accumulé depuis son lancement en 1995/1996 et le recul du nombre des wilayas où « la langue tamazight » est enseignée. S’agit-il de l’échec d’un programme ou, tout simplement, d’un « échec programmé » de « l’introduction de tamazight/berbère dans le système éducatif algérien » ?

Seïdh Chalah (2011)

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2 Commentaires

  1. Tout decoule de cette denotation « droits culturels et linguistiques » plutot que « droits politiques » – Les contraintes/obligations du regime algerien envers tous les algeriens (ceux qui en souffrent comme ceux qui s’y plaisent/inconscients), sont les memes que celles(contraintes) de pays colonisateurs.

    {{Dans tels cas, il s’agit de Peuples (ou pays meme) administre’s et non de citoyennete’.}}

    Il y en a encore qui sont floux par rapport a ces notions, et j’espere qu’ils se mettront vide a arreter de se mentir a soi-meme, sur certaines plus verite’s mais realite’s:

    – 1. Sans droits politiques, il n’y a pas de citoyennete’,

    – 2. Dans la citoyennete’, la langue est aussi bien un droit qu’un devoir.

    – 3. Les administre’s algeriens arabophones ont le droit de dispenser leurs enfants de Tamazight

    – 4. Les adminitre’s algeriens amazighophones n’ont pas le droit de dispenser leurs enfants l’Arabe.

    – 5. A moins de les reclamer, personne, ni le regime ni les instances internationales, ne le forceront a s’acquiter de ses contraintes/obligations, qui sont nos droits politiques.

    – 7. Notre droit politique est celui de nous auto-gouverner, comme bon nous semble. Ce n’est que dans un tel contexte, Tamazight dans sa variante qui nous concerne « Taqvaylit », sera proclame’e autant un droit et devoir.

    – 8. A droits moindre que ceux des Arabophones (2,3), il nous illegal et impossible d’imposer aux Arabophones d’apprendre ou pratiquer Tamazight. Il est par consequent logique que la Tamazight est pratique’e et revendique’e, les populations jouissent de leurs droits politiques et donc disposent d’ Etats qui s’en occupent.

    L’officialisation a l’Algerienne, c.a.d. insertion d’une declaration, dans une constitution tripotte’e, non respecte’e et bourre’e de contradictions, est plus dangereuse qu’autre chose.

    A titre d’example et qui ne vise point la religion islamique mais l’inconsistance des lois):

    – il est enonce’ que l’algerie est une republique populaire, plutot que militaire – puisque c’est l’arme’e et non la population qui la gere.

    – La constitution algerienne proclame le droit de conscience a l’Americaine, mais se contredit en proclamant l’etat avoir une religion et se cre un ministere pour. Et ceux qui ne sont pas de cette religion alors? Il ne sont pas algerien, il sont ottages !

    Bref, ce ne sont pas les examples qui manquent. Ce regime gagne beaucoup(en milliards de dollars) a amenager ces mensonges et inconsistances, mais pas nous du tout. En guardant le silence, on ne fait que laisser faire.
    Dit-on: « {{qui ne s’oppose/plaint, consent}} »

  2. @seidh shalah.
    L’ouverture des départements de recherche sur la culture et l’identité amazigh en 1990 à TIZI et en 1991 à BOUGIE,suite à la marche du 25 JANVIER 90 à ALGER, n’a jamais été dans un cadre électoraliste.Sinon comment comprendre ça alors que les organisateurs cette même marche appartenaient tous à des partis boycotteurs des élections municipales(et c’était les seules) de la même année. Et ces partis étaient le PAGS(de Sadek Hadjeres),le FFS,le MDRA,le PST,l’OST,en conséquence ceux constituant le mouvement culturel berbère(MCB) organisateur du séminaire de juin 89 à Tizi-Ouzou et de la marche sus-citée. Par conséquent le seul parti ayant participé à ces élections c’était le RCD,alors que Sheidh Shalah vous n’aviez pas de mal à le plébisciter malgré qu’il s’était farouchement opposé à cette marche et même à ce séminaire sources du peu de ce dopage temporaire de la cause Amazigh.
    Mais je peux être d’accord avec vous lorsque vous avez évoqué la grève du cartable pour le recouvrement de l’identité Amazigh,là l’arrêt de la grève c’est vrai a été dans un cadre électoraliste parce que Ferhat M’HENNI et les autres membres du MCB tendace Djamel Zennati avaient menacé de boycotter les présidentielles 95 alors que Said Samedi prétendait déjà y postuler pour qu’en fin de compte campe sur un cigare. A ce propos,via Ould ali l’baudet,suite à l’accord complot du 22 avril 95, l’état lui a offert la TV pour casser cette grève malgré l’accord entre tous les organisateurs de la grève.Accord unificateur et donneur de parole du 04 AVRIL 95 qui met en locomotive la reconnaissance de Tamazight comme langue nationale et officielle . Disaient les premiers: « l’homme c’est celui qui tient à sa parole,le lâche c’est celui qui largue sa parole ». Sadi avait même réussit à induire en erreur de valeureux hommes comme Idir Ait Amrane et Matoub Lounès. Et pour ma part c’était l’année source de tout le mal que vit la kabylie aujourd’hui.

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