Déclaration du CMA à l'occasion de Yennayer 2966 – 2016

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PARIS (Tamurt) – Les années passent et les menaces qui pèsent sur l’existence du peuple Amazigh, sur sa langue et sa culture millénaires, demeurent bien présentes malgré de maigres acquis de nature plus symbolique que réelle.

A titre d’exemple, dans les deux pays qui comptent la grande majorité des amazighophones, l’Algérie et le Maroc, la langue amazighe qui a pourtant accédé au statut de « langue nationale » en Algérie depuis 2002 et à celui de « langue officielle » au Maroc depuis 2011, demeure très marginalisée dans le système éducatif et culturel et exclue des administrations publiques et du système judiciaire. Les chaines de télévision (Tamazight TV) créées dans ces deux pays pour véhiculer la culture amazighe, sont en grande partie instrumentalisées au service de la falsification et de la folklorisation de l’identité amazighe.

Dans l’Azawad, l’existence même du peuple Kel-Tamacheq (Touareg) est plus que jamais menacée. La présence de l’armée française et celle de l’ONU, officiellement justifiée par la lutte contre les groupes islamistes et les narcotrafiquants dans cette région, s’est finalement révélée comme une simple opération de restauration d’un Etat malien en faillite. Les puissances étrangères (notamment la France, l’ONU et l’Algérie) ont imposé au MNLA un « pseudo accord de paix » au mépris des intérêts de l’Azawad et de la volonté populaire. Pendant ce temps, comme pour punir la population Kel-Tamacheq, l’Algérie a fermé sa frontière terrestre avec l’Azawad coupant les Azawadiens de leurs frères de Tamanrasset, capitale historique des Kel-Tamacheq. La présence de plusieurs « armées » sur le terrain (armée française, malienne, onusienne, les groupes armés d’Al-Qaida, Mujao, AlMourabitoune, Ansar-Dine…) a provoqué la montée de l’insécurité et sème la psychose au sein des populations, particulièrement après les assassinats politiques ciblant les jeunes militants de la Cause de l’Azawad comme ce fut le cas pour Abdel-Maleck et ses deux compagnons le 17 décembre 2015 à Tinbuktu et de Balla Ag Cherif, président de l’Union des jeunes de l’Azawad ainsi que trois de ses compagnons, tués le 25 décembre sur la route de Talahandak, près de la frontière avec l’Algérie. Ce contexte angoissant ne favorise guère le retour des réfugiés Azawadiens chez eux malgré la très grande précarité de leurs conditions de vie dans les camps de réfugiés, notamment en Mauritanie où ils sont menacés par la famine. Ce drame imposé au peuple Kel-tamacheq par les forces prédatrices étrangères, exige une solidarité effective de tous les peuples épris de justice, avec ce peuple autochtone dont la survie nécessite sa mise sous protection de la communauté internationale.

 Au Maroc, le CMA continue et continuera de dénoncer l’injuste maintien en détention des prisonniers politiques Amazighs Mustafa Oussaya et Hamid Ouattouch emprisonnés depuis 2007 pour avoir seulement défendu les droits du peuple amazigh. De même, le CMA salue la résistance héroique des habitants du village de Imider (sud-est du Maroc) depuis plus de 4 ans, face à la Société Métallurgique d’Imider (SMI) qui vole les terres et l’eau des villageois en toute impunité. A tous les résistants contre l’arbitraire et l’abus de pouvoir, le CMA les assure de son infaillible soutien.

En Algérie, le peuple Ait-Mzab qui vit depuis des siècles dans son territoire historique de la vallée du Mzab est, depuis quelques années et de manière répétée, l’objet de graves violences perpétrées par des groupes appartenant à la communauté arabe Chaamba, avec le soutien non dissimulé des autorités politiques, administratives, policières et judiciaires algériennes. L’année 2015 a été marquée par l’assassinat d’une trentaine de Mozabites et l’incarcération arbitraire d’une cinquantaine d’autres. A l’heure actuelle, plus de trente prisonniers politiques Mozabites dont Kamel-Eddine Fekhar, défenseur des droits de l’homme, attendent depuis plus de 6 mois leur jugement. Des preuves flagrantes largement diffusées, mettent en cause sans ambiguité le racisme de l’Etat algérien à l’encontre des Ait-Mzab. Le CMA rappelle que le peuple Ait-Mzab attend la protection de l’ONU qu’il a demandée au mois de mai 2014.

 Le même racisme d’Etat est à l’œuvre dans la région de Kabylie où les autorités judiciaires et de police harcèlent sans cesse les défenseurs des droits des Amazighs et les membres du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) particulièrement. Depuis quelques mois, l’Etat semble mettre en œuvre une nouvelle stratégie, celle de la criminalisation des membres du MAK et les sympathisants de ce mouvement qui agit pourtant par des moyens pacifiques et démocratiques. Par ailleurs, le projet de réforme constitutionnelle algérienne présenté récemment, n’est qu’une opération de ravalement de façade qui ne peut cacher la véritable nature dictatoriale et anti-amazighe du pouvoir algérien.

En Libye et en Tunisie, la chute des dictatures a malheureusement profité à la mouvance islamiste intégriste qui ne rêve que d’un seul projet : instaurer la Chari’a islamique et étouffer les libertés fondamentales. Dans des conditions de forte insécurité liée à l’activisme des groupes islamistes armés, les Amazighs qui ont été les premiers résistants face aux régimes totalitaires déchus, tentent de s’organiser pour se préserver des violences et pour faire entendre leurs droits au moins culturels. Dans le sud-Libye, différents groupes armés tentent de chasser la communauté KelTamacheq de ses territoires traditionnels afin de mettre la main sur les gisements de pétrole de cette région.

L’Archipel Canarien reste le pays qui connait une véritable colonisation directe par une force d’occupation extérieure, l’Espagne, qui mène depuis 5 siècles une politique de destruction de la culture autochtone et de pillage des ressources de ce territoire avec l’aide de firmes multinationales. Le territoire canarien sert également de base militaire aux forces de l’Otan.

 Dans le monde occidental, profitant des droits et des libertés individuels et collectifs, la mouvance islamiste salafiste a proliféré et elle est parvenue à endoctriner des jeunes issus de l’immigration, y compris quelques jeunes d’origine amazighe. Sans institution officielle pour les défendre, les Amazighs de culture laique, sont ostracisés par les médias et ignorés par les Etats et subissent en conséquence, tous les amalgames. Le CMA recommande vivement aux responsables associatifs de la diaspora de s’unir dans des coalitions nationales qui auront pour mission de les représenter et de défendre leurs intérêts moraux.

 Pour cette nouvelle année qui commence, conformément au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le Congrès Mondial Amazigh soutient le droit du peuple Canarien, de l’Azawad, de Kabylie et des autres peuples à leur autodétermination. D’une manière générale, l’avenir du nord de l’Afrique passe par l’instauration d’Etats fédéraux accordant une large autonomie aux peuples et aux territoires. C’est l’unique voie qui permettra aux Amazighs d’accéder au développement économique et social, de préserver et de promouvoir leurs institutions, leur culture et leur langue.

Aux côtés du mouvement amazigh de tous les pays de Tamazgha, le Congrès Mondial Amazigh réitère sa revendication d’instituer Yennayer, Jour de l’An amazigh, comme journée fériée, chômée et payée. Le CMA recommande vivement aux entreprises, aux collectivités locales, aux associations et aux citoyens, de l’appliquer sans attendre la décision gouvernementale. Il est du droit et du devoir de chacun-e de contribuer à la réappropriation du patrimoine culturel amazigh en faisant de Yennayer un jour de fête.

Les échanges entre les peuples du nord de l’Afrique et le développement de cette région sont largement contrariés par l’insécurité provoquée par le terrorisme islamiste et la militarisation, et par la fermeture des frontières. Le CMA qui rappelle que la délimitation des Etats du nord de l’Afrique est le fait du colonialisme, exige l’ouverture de la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc, entre l’Algérie et l’Azawad, entre l’Algérie et la Libye et l’abolition des visas. La liberté de circulation des citoyens de cette région ne doit être soumise à aucune restriction.

Imazighen, les Hommes Libres, font partie des derniers peuples opprimés dans le monde. Mais comme tous les peuples, leur destin est de vivre dans la liberté et la dignité. Pour cela, ils doivent poursuivre l’action de manière déterminée et continue pour faire reculer les injustices et obtenir la reconnaissance et le respect effectif de leurs droits et libertés.

Par ailleurs, le dialogue international ne doit en aucun cas rester le monopole des Etats, excluant les peuples. En conséquence, le CMA réclame une représentation officielle des peuples sans Etat au sein de l’Organisation des Nations Unies, selon des modalités à définir.

Pour porter ces ambitions fortes, le Congrès Mondial Amazigh souhaite à toutes et à tous beaucoup de force de conviction et de courage afin de faire de l’année 2966-2016, une année décisive dans la reconquête des droits, des libertés et de la dignité des Amazighs.

Aseggas ameggaz, ifulkin, yeh’lan, ighudan, icnan, yulaghen…

Bonne année, buen año nuevo, happy new year…

Paris, 1 Yennayer 2966 – 12 janvier 2016

Le Bureau et le Conseil Fédéral du CMA

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