L’heure de vérité pour des choix historiques

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Aziz Tari
Aziz Tari

CONTRIBUTION (TAMURT) – Ce 12 Avril marque un tournant décisif quand à l’issue de la crise politique provoquée par le soulèvement populaire depuis plus de deux mois. Ce nouveau face à face entre le pouvoir (l’armée et la constitution) et la Rue rentre dans une phase de rupture qui forme deux blocs dont l’un deux doit céder sa place où bien trouver un compromis pour ouvrir la voie à une solution négociée pour mener à bien le changement souhaité. La tension monte d’un cran et risque de se dégénérer. Le mythe « l’armée et le peuple sommes frères » est mis à rude épreuves.

D’un coté comme à son habitude et dans sa tradition l’Armée intervient directement et avec autorité pour régler la crise au sein du régime allant jusqu’au coup d’état pour imposer sa loi et se montre au dessus de tous, comme aujourd’hui. Elle a joué ce rôle depuis 1962. Cette fois ci elle est acculée, elle n’a plus les moyens de sauver un régime moribond que la rue vomit. La crise interne au régime, le malaise interne au sein de l’armée et une constitution caduque montrent à quel point tout l’édifice bâti depuis 1962 s’est fragilisé et s’écroule sous la vague du tsunami populaire.

La dernière réponse envisagée pour une sortie de crise en reconduisant le système signe la fin d’une époque et la fin d’un règne sans partage. Elle siffle la fin de la contre révolution qui a amené cette Algérie à cette catastrophe. C’est la fin de toute leur légitimité fondée sur la confiscation pendant 60 ans de la souveraineté des peuples et par la même de leurs destins. Ils ne peuvent être source de sortie de crise puisqu’ils sont tous concernés par la vague du dégagisme à commencer par l’homme fort actuel, celui qui concentre tous les pouvoirs aujourd’hui, Gaid Salah. Soit ils jettent l’éponge et laissent place à une transition constituante (assemblée constituante), soit le chaos dont on ne peut mesurer les conséquences. J’espère que le choix historique se fera dans l’intérêt supérieur de l’Algérie et des peuples pour tourner une page triste et douloureuse de notre histoire. La balle est dans leur camp.

De l’autre coté, la Rue comme contre pouvoir, forte de ses arguments et de sa mobilisation depuis plus de deux mois, affiche sa détermination à aller jusqu’au bout de son désir de changement et d’en découdre avec le système et de ceux qui l’ont servi. Stratégiquement, elle a démontré sa capacité à s’adapter à la situation mouvante et à diversifier ses formes de combats en ouvrant plusieurs fronts et foyers de protestation pour que la révolution pacifique en cours encercle de plus en plus le cœur décisionnel du pouvoir et le pousse à sa sortie.

Ce huitième Vendredi en est la preuve que rien ne l’arrêtera. Et elle rentre dans une autre phase celle de la vague de la désobéissance civile pour empêcher les élections du 04 Juillet. Les tentatives de faire avorter ce mouvement reflètent le désarroi de ce système et ne font que renforcer la mobilisation. Chaque semaine apporte des victoires et la rue s’inscrit dans la durée jusqu’à la satisfaction de ses aspirations « Tout le monde dégage » sans pour autant s’exprimer sur la suite.

Ce face à face entre l’Armée et la Rue est inédit et c’est porteur d’une clarification souhaitable pour aborder les défis de demain, celui du changement. Des brèches significatives sont ouvertes sous la pression de la rue. Le discours de Gaid Salah du 16 Avril est un pas mesuré certes mais qui ouvre la voie à un apaisement. Le fait de garantir qu’aucune goute de sang ne soit versée est en soi un engagement devant le monde entier du caractère pacifique de toutes les mobilisations futures. Elle crée les conditions pour ouvrir la voie à une transition souhaitée par la Rue c’est-à-dire hors système.

En affirment qu’aucune voie n’est à écarter ce qui se traduit par on peut sortir des jeux constitutionnels pour satisfaire la rue, alors nous disons chiche. Pour cela il faut tout dissoudre (le gouvernement, le président par intérim, l’APN, le Sénat, le conseil constitutionnel) symboles des blocages à toutes les transformations exigées par les défis d’aujourd’hui. Nous disons faisons le aujourd’hui sans aucun calcul, décrétons la transition constituante pour aborder le virage sans retour et surtout sans patiner. Sinon on fait du surplace ce qui signifie la volonté de maintenir figer le système. Ce la rue n’acceptera jamais et elle ne pardonnera jamais.

Gaid Salah la balle est dans votre camp, osez l’histoire et osez le courage sinon l’histoire retiendra que vous avez compromis la chance pour l’Algérie de se relever et de regarder devant avec un autre regard sur son destin celui des peuples, celui de la liberté, celui de la fierté et celui de tous les espoirs pour notre jeunesse et nos enfants de vivre dans un monde de paix et d’épanouissement. Vous avez compromis la chance de donner raison à la Rue dont vous n’arrêtez pas de tarir d’éloges, la Rue qui a soulevé tant d’espoirs de rupture et de renouveau.

Monsieur Gaid Salah, nous en Kabylie nous sommes rentrés dans le cycle de la célébration du printemps Amazigh. Nous, depuis des décennies avons porté le printemps de la liberté et du renouveau. Nous avons porté, au prix de notre sang depuis 1963 jusqu’à 2001, la volonté de changement et notre volonté de refondation de l’Algérie en prenant en compte notre désir profond de s’affranchir de la matrice qui définit les fondamentaux actuels qui sont obsolètes et empêchent un véritable débat sur notre destin. Vous le savez très bien, et aujourd’hui nous renouvelons toujours notre engagement à faire aboutir notre désir profond de participer à ce renouveau pour une Algérie plurielle qui s’appuie d’abord sur son histoire, celle des peuples et des territoires que le congrès de la Soummam a su unifié pour un destin commun.

Nul doute, Monsieur Gaid Salah vous connaissez cette complexité de briser les tabous, les interdits et les mythes sur lesquels vous êtes bien assis pour vous protégez derrière cette muraille de chine dont les murs sont trop hauts pour vous pour les franchir. Sachez le Monsieur Gaid Salah, avec tout le respect que je dois à la fonction, nous militants du printemps Amazigh, cela fait presque quarante ans qu’on a franchi ses barrières et on a brisé les chaines grâce à notre foi en notre destin. Nous vous invitons à suivre notre chemin celui de la liberté et de la responsabilité, celui de l’élévation vers de grand destins. Celui du retour à la source pour mieux protéger la Rue et votre pays.

Aziz Tari
Détenu 80 et 81
Militant pour les libertés et l’Amazighité
Militant pour un statut pour la Kabylie dans une Algérie redéfinie

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