Youcef Zirem: « Un Printemps Noir qu’il ne faudra pas oublier. »

0
48847
Mémoire - Victimes du Printemps Noir
Mémoire - Victimes du Printemps Noir

PRESSE (TAMURT) – J’ai assisté à ce qui s’est passé à Alger le jeudi 14 juin 2001. Ce furent des événements douloureux à partir du moment où la police a attaqué les manifestants pacifiques pour que la marche dégénère. J’ai vu les voyous libérés la veille de prison attaquer les manifestants pacifique. Il y a eu des morts, ce jour-là, paix à leur âme. Le soir, la télévision algérienne a travesti les faits et a fait un discours raciste durant près d’une heure. Ce discours raciste n’a jamais été puni, tout comme les assassins des 126 personnes durant le Printemps Noir de Kabylie ne sont jamais passés en justice, jusqu’à aujourd’hui…

Heureusement que la presse écrite du lendemain avait rapporté les faits, tels qu’ils se sont déroulés. L’actuel chef de l’état désigné par les généraux faisait partie du gouvernement qui a massacré le peuple en ce 14 juin 2001. Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a attaqué les dirigeants algériens en justice, au niveau international, pour crime contre l’humanité, durant le Printemps Noir de Kabylie, ne serait-ce que symboliquement…

Le mercredi 18 avril 2001, le jeune Massinissa Guermah est assassiné dans les locaux de la gendarmerie des At Douala, à vingt kilomètres de la ville de Tizi Ouzou. Le lendemain, 10000 personnes défilent à Tizi Ouzou. Deux jours après, l’arrestation de deux collégiens par les gendarmes d’Amizour, dans la région de Bgayet, déclenche des émeutes. Ces événements coïncident avec la commémoration en Kabylie du « Printemps Berbère », du 20 avril 1980, une manifestation réprimée par le pouvoir.

Du 25 au 29 avril 2001, des affrontements ont lieu entre la population et la gendarmerie dans toute la Kabylie. On dénombre déjà plus de 50 morts parmi les manifestants. Installée par le chef de l’état, Abdelaziz Bouteflika, le 30 avril 2001, la Commission nationale d’enquête sur les événements de Kabylie rend public un rapport préliminaire le 27 juillet 20001. Ce rapport note que « la réaction violente de la population a été provoquée par l’action non moins violente des gendarmes, laquelle, pendant plus de deux mois, a nourri et entretenu l’événement : tirs à balles réelles, saccages, pillages, provocations de toutes sortes, propos obscènes, et passage à tabac ».

Présidée par le professeur Mohand Issad, cette Commission fait savoir qu’elle s’est heurtée à des réticences et des refus dans ses demandes de renseignements, documents, balles extraites et radiographies. Même si Mohand Issad et son équipe ne disent pas qui a donné l’ordre de tirer sur la population aux gendarmes, ils signalent qu’après les premiers jours de la tragédie, les ordres de la gendarmerie de ne pas utiliser les armes n’ont pas été exécutés. Pour la Commission Issad, il se peut que « la gendarmerie a été parasitée par des forces externes à son propre corps, avec forcément des complicités internes, qui donnent des ordres contraires, et assez puissantes, pour mettre en mouvement la gendarmerie avec une telle rudesse pendant plus de deux mois et sur une étendue aussi vaste ».

Le professeur Issad ne les désigne pas par leur nom mais les seules forces externes capables de parasiter la gendarmerie sont celles du DRS. Les événements tragiques de Kabylie surviennent à un moment où Abdelaziz Bouteflika est dans un terrible bras de fer avec le général-major Mohamed Mediène, dit Toufik, chef du DRS (le 23 avril 2001, le quotidien El Watan écrit, par la plume d’un journaliste proche des cercles présidentiels, que le général-major Mohamed Mediène est partant mais d’autres articles de presse ne tardent pas à démentir cette information). A l’issue de la tragédie kabyle, le chef de l’état se retrouve avec les mains tachés de sang, exactement comme celles de ses rivaux les généraux décideurs du système algérien.

À l’appel de la Coordination des villes et villages de Kabylie (une structure mise sur pied vu la gravité de la situation et surtout pour dépasser les divergences traditionnelles existant entre le FFS et le RCD, les deux partis les plus implantés en Kabylie), une marche est prévue pour le 14 juin 2001, à Alger. La Coordination veut marcher en direction de la présidence de la République pour remettre une plate-forme de revendications au premier magistrat du pays mais les autorités proposent un autre itinéraire : celui menant vers la Place des Martyrs.

La Plate-Forme d’El Kseur (c’est dans cette petite ville de la vallée de la Soummam qu’elle a été adoptée) comporte 15 points. Les plus importants sont : le jugement par les tribunaux civiles de tous les auteurs , ordonnateurs et commanditaires des crimes, le départ immédiat des brigades de gendarmerie de toute la Kabylie, consécration de tamazight en tant que langue nationale et officielle, et la mise sous l’autorité effective des instances démocratiquement élues de toutes les fonctions exécutives de l’état ainsi que des corps de sécurité.

Le 14 juin 2001, près de deux millions (ou peut-être trois, ndlr) de personnes s’apprêtent à marcher dans la capitale. Mais la marche n’aura pas lieu, avant même son démarrage, les forces de l’ordre reçoivent l’ordre de lancer des bombes lacrymogènes sur les manifestations pour entamer l’affrontement. La situation dégénère complètement. Les services du DRS réussissent à monter des groupes de jeunes de la capitale contre les manifestants venus de Kabylie, certains jeunes des quartiers d’Alger sont même payés pour accomplir la sale besogne. Des détenus de droit commun sont libérés de prison pour spécialement casser du « Kabyle ».

Le pouvoir joue ainsi toutes les cartes pour mâter la contestation populaire. Vingt ans après, la junte militaire algérienne est toujours au pouvoir même si le Hirak a réussi à la dénuder…

Youcef Zirem

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici