Lois sur le terrorisme et répression : L’Algérie rappelé à l’ordre par les experts de l’ONU

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Nations unies
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ALGERIE (TAMURT) – Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a été destinataire, récemment, d’une correspondance de la part de cinq mécanismes du Haut conseil des droits de l’Homme des Nations unies, dont le siège se trouve à Genève, relative à des textes de lois controversés sur le domaine sécuritaire et la lutte antiterroriste, adoptés dernièrement par son gouvernement. A travers cette communication de quatorze pages, les experts onusiens ont exprimé leurs craintes de voir les libertés fondamentales bafouées par l’application de ces lois. En tous les cas, ces lois abusives et liberticides ont déjà fait des centaines de victimes, majoritairement des kabyles, qui croupissent injustement dans les geôles algériennes.

Signée conjointement par trois Rapporteuses spéciales chargées respectivement de la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, la promotion et la protection du droit à la liberté d’expression et d’opinion, et celle s’intéressant à la situation des défenseurs des droits de l’homme, ainsi que par le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association, en plus du Groupe de travail sur la détention arbitraire, la missive adressée au président algérien conformément aux résolutions 40/16, 42/22, 43/4, 41/12 et 43/16 du Conseil des droits de l’homme, mettent en exergue les dérives sécuritaires de l’Etat algérien. Tout en exprimant clairement leurs craintes, les experts onusiens proposent dans leur missive des commentaires et des suggestions pour l’amendement des textes de lois controversés afin de garantir le respect des libertés et droits fondamentaux. « À cet égard, nous vous proposons des commentaires et suggestions à propos de certains textes de loi en rapport avec le domaine sécuritaire et la lutte antiterroriste récemment approuvés, en particulier l’Ordonnance n° 21-08 modifiant et complétant l’Ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant Code pénal et la loi n° 20-06 du 22 avril 2020 modifiant également le Code pénal. Nous craignons que l’adoption et l’application de ces textes législatifs puissent entraîner des atteintes importantes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, le droit à la sécurité de la personne et au procès équitable, tels qu’établis dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le « PIDCP »), ratifié par l’Algérie le 12 septembre 1989», lit-on dans la correspondance adressée au président algérien.

En se référant à plusieurs résolutions du Conseil de sécurité et celui des droits de l’Homme, les signataires de cette communication remettent en cause la définition du terrorisme par l’Etat algérien. Une définition qui ne cadre pas avec le droit international. En effet, les experts onusiens ont exprimé des préoccupations relatives à la compatibilité de la législation antiterroriste de l’Algérie avec le droit international. « Nous sommes préoccupés par le fait que la définition de ‘’terrorisme’’ telle qu’elle figure dans cette nouvelle version de l’article 87 bis du Code pénal, n’est pas en conformité avec les définitions susmentionnées avancées par le Conseil de sécurité et le mandat de la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste », note la même missive envoyée au chef de l’Etat algérien, tout en rappelant que « plusieurs experts en droits de l’Homme des Nations unies ont condamné l’usage croissant des lois sécuritaires pour poursuivre en justice des personnes exerçant légitimement leurs droits à la liberté d’opinion et d’expression, ainsi qu’à la liberté de réunion et d’association pacifiques ». Pour rappel, le Haut Conseil algérien à la sécurité nationale (HCS), organe consultatif chargé de conseiller le président de la République sur les questions de sécurité, avait classé le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) comme « organisation terroriste », en mai 2021, pour justifier la répression contre les militants indépendantistes kabyles. Par ailleurs, plusieurs anomalies ont entaché l’approbation de ce dispositif législatif de lutte antiterroriste. En effet, « ces textes n’ont fait l’objet d’aucun débat parlementaire » et « la société civile a aussi été tenue à l’écart de toute discussion sur ces sujets », a-t-on déploré dans ladite correspondance.

En gros, la définition du terrorisme dans la loi algérienne est jugée « imprécise » et par conséquent « pourrait avoir des répercussions négatives en matière des droits fondamentaux ». Ces remarques ont déjà été mises en exergue en 2018 à travers l’examen du quatrième rapport périodique de l’Algérie, a-t-on rappelé. Les rédacteurs de cette communication regrettent le fait « que la nouvelle rédaction (de la loi antiterroriste, NDLR) aille dans la direction opposée aux recommandations émises par le Comité (des droits de l’Homme) ». En outre, ils se disent « inquiets » par le fait que ce nouvel arsenal juridique ouvre la porte à toutes sortes d’abus et de dérives. « Nous sommes inquiets que ce cadre législatif puisse être susceptible de donner lieu à des abus et permettre la prise de décisions arbitraires », ont-ils affirmé. Dans les observations finales de cette correspondance onusienne, l’on a souligné que « les textes législatifs ayant fait l’objet de cette communication semblent être en directe opposition avec les meilleures pratiques en matière de législation antiterroristes ». Ainsi, l’Algérie a été rappelée à l’ordre par les experts onusiens et est encouragée « à suivre l’approche utilisée dans la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies et la définition proposée par la Rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme, afin de s’assurer que seuls les comportements de nature véritablement terroriste soient désignés et poursuivis comme telle en vertu de la loi algérienne ». La coopération des autorités algériennes a été sollicitée par les rapporteurs de l’ONU, en vertu des mandats qui leur ont été confiés, afin, expliquent-ils, de « tirer au clair » les cas qui ont été portés à leur attention. A noter que des dizaines de militants kabyles appartenant aux mouvements indépendantistes MAK et URK, ou à d’autres organisations politiques, ont été arrêtés et faussement accusés de terrorisme par le régime algérien.

Arezki Massi

Le gouvernement algérien est prié par les experts onusiens, auteurs de cette missive, de leur donner des explications sur les six points suivant :

1. Veuillez nous fournir toute information ou tout commentaire complémentaire en relation avec les allégations susmentionnées.

2. Veuillez fournir des informations sur les raisons expliquant la portée et l’étendue de ces textes de loi et sur la manière dont le Gouvernement de Votre Excellence considère qu’il respecte les principes de précision et de sécurité juridique énoncés dans le Pacte.

3. Veuillez fournir des informations relatives à la définition et les suppléments de précision de la terminologie utilisée dans ces textes de loi au vu des remarques développées dans cette lettre, ceci, en vue de garantir une protection efficace des droits qui pourraient être impactés par ces textes de loi.

4. Veuillez s’il vous plait fournir des informations sur les mesures prises et/ou que vous comptez prendre afin que les textes législatifs qui font l’objet de cette communication soient conformes avec les obligations de l’Algérie en vertu du droit international et conformément aux recommandations émises par le Comité des droits de l’Homme lors du quatrième rapport périodique de l’Algérie (CCPR/C/DZA/CO/4).

5. Veuillez fournir des informations sur les mesures prises pour s’assurer que la mise en œuvre des dispositions de ces textes de lois ne portera pas atteinte aux droits de l’Homme, notamment au droit à la liberté d’expression, à la liberté de réunion pacifique et d’association, au travail légitime et pacifique des défenseurs des droits humains et au droit à un procès équitable.

6. Veuillez fournir des informations détaillées sur la manière dont les activités antiterroristes du Gouvernement de Votre Excellence sont conformes aux résolutions 1373 (2001), 1456 (2003), 1566 (2004), 1624 (2005), 2178 (2014), 2341 (2017), 2354 (2017), 2368 (2017), 2370 (2017), 2395 (2017) et 2396 (2017) du Conseil de sécurité des Nations unies ; ainsi que la résolution 35/34 du Conseil des droits de l’Homme et les résolutions 49/60, 51/210, 72/123, 72/180 et 73/174 de l’Assemblée générale, en particulier en ce qui concerne le droit international des droits de l’Homme, le droit des réfugiés et le droit humanitaire qui y sont énoncés.

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