Ali Kafi, Ben Bella et Malek Bennabi contre Abane

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Abane Ramdane
Abane Ramdane

Leurs destins ont connu des fortunes diverses, leur parcours et leur tempérament si différents, mais ils ont en partage un point commun : la haine viscérale de l’architecte de la Révolution, Abane Ramdane.

Même mort, le “cadavre de la révolution” ne laisse personne indifférent. C’est que sa personnalité, son rôle de premier ordre dans l’organisation de la Révolution, son ascension fulgurante dans les instances dirigeantes du FLN au lendemain du déclenchement de la Révolution, sa vision et son projet politique pour une Algérie moderne, plurielle, démocratique et ouverte sur l’universalité, s’ils ont suscité de l’admiration chez nombre de ses concitoyens et même parmi certains de ses détracteurs, ils ont en revanche contrarié bien des ambitions et suscité des jalousies.

Parmi ces personnages pourfendeurs de celui qui constitue à ce jour la référence programmatique pour une Algérie moderne : Ali Kafi, ancien président du Haut-Comité d’État (HCE), structure créée au lendemain de l’assassinat du défunt Mohamed Boudiaf, Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante et Malek Bennabi, auteur du fameux concept de “colonisabilité” qui présentait l’Algérien comme étant à l’époque prédisposé à être colonisé.

Dans son livre Ben Bella-Kafi-Bennabi contre Abane : les raisons occultes de la haine, paru aux éditions Koukou, Belaïd Abane, proche parent de Abane Ramdane, diplômé de sciences politiques et ancien professeur des universités en médecine, nous restitue, témoignages et références bibliographiques à l’appui, les raisons de la rancœur qu’entretiennent ces personnages vis-à-vis de celui dont la simple évocation du nom fait frémir encore à ce jour.
On connaissait la haine légendaire de Ben Bella, mais un peu moins celle de Kafi ou encore de Bennabi. “Aux yeux des observateurs, l’acharnement sans vergogne d’Ali Kafi s’explique par l’amertume et la rancœur qu’il ressasse depuis son éloignement d’Ifri, et son éviction du champ et du moment historiques où se déroula le Congrès de la Soummam, l’une des étapes majeures de la révolution, fondatrice de l’État algérien post- colonial. Cette infortune, il l’attribue, comme de bien entendu, à Abane”, écrit l’auteur. Mais la suprême humiliation pour celui dont apprendra, selon les témoignages recueillis par l’auteur, qu’il est “un jouisseur et un noceur”, qui aurait perdu beaucoup d’argent dans un casino en Suisse dans les années 1980 et qui serait impliqué dans la mort de Zighoud Youcef, est de ne pas figurer dans le procès verbal du Congrès de la Soummam. Ce rendez-vous, acte fondateur de l’Algérie, est aussi le point focal de la rancœur tenace et de la détestation, du reste réciproque, que vouait Ahmed Ben Bella à Abane Ramdane. L’ancien président n’aurait jamais admis, en effet, son absence des instances dirigeantes, lui qui était confortablement installé au Caire et qui se voyait, grâce à Nasser et à son chef de renseignements Fethi Dib, comme le patron naturel de la Révolution. Mais, on apprend qu’il aurait été dissuadé par les Égyptiens de venir à la Soummam au risque d’être jugé pour “trahison” dans l’affaire de l’OS.

L’autre “péché” qu’il reproche à Abane : “la primauté de l’intérieur sur l’extérieur”, “le politique sur le militaire” et “la remise en cause du caractère islamique de nos futures institutions politiques”. L’auteur rappelle que même en 2002, quarante ans après la mort de Abane Ramdane, Ben Bella n’hésita pas à déverser son fiel sur lui sur le plateau d’Al Djazeera où il accuse l’architecte de la révolution “d’avoir épousé une française”, d’avoir “dénaturé le sens arabe et islamique de la révolution” et de l’avoir “dévoyé” en intégrant au sein du FLN, les centralistes opposés à Messali, l’UDMA de Ferhat Abbas, les Ulémas et les communistes. Autre contempteur, “marginal”, connu pour ses “imprécations”, Malek Bennabi. Intellectuel, islamiste francophone, Malek Bennabi, à l’égo démesuré, selon l’auteur, n’a jamais accepté son sort d’anonyme et de n’avoir jamais été un acteur de la révolution. Toutes ses tentatives de se “greffer” à la révolution, après son déclenchement en 1954, ont rencontré une fin de non-recevoir de la part des dirigeants, lesquels se méfiaient de cet intellectuel, installé et qui coulait des jours paisibles au Luat-Clairet dans l’Eure-et-Loir et ancien collaborateur des nazis et fonctionnaire de l’administration de Vichy au début des années 40. Alors que la révolution entamait sa marche, Malek Bennabi développait sa théorie sur la “colonisabilité” et sur le rôle “nécessaire de la colonisation”, rapporte l’auteur. Il s’en prendra à plusieurs figures dont Frantz Fanon et Lamine Debaghine, à travers des qualificatifs “intellectomanes” et “zaïmillons” mais aussi au GPRA et au Congrès de la Soummam qui a créé la Zone autonome d’Alger. Sur Abane Ramdane, il ne dissimule pas sa rancœur. Il écrit : “Georges Habbache dans le processus révolutionnaire palestinien est Abane Ramdane dans le processus algérien sont…des erreurs introduites de l’extérieur : des erreurs induites”. Belaïd Abane ne manque pas par ailleurs d’évoquer M. Benaouda, qui justifiait encore récemment à la faveur d’un entretien à un confrère, l’assassinat de Ramdane. Benaouda est présenté comme un homme sans courage et dépourvu de crédit et qui se range toujours du côté du plus fort. C’est lui qui prononça en 1981 l’exclusion de Bouteflika des instances dirigeantes du FLN avant de tomber en pleurant dans les bras du même Bouteflika en 1999. Même si certains trouveront qu’il pèche par quelque manque de rigueur propre à l’écriture de l’histoire, le livre aura eu le mérite de restituer, témoignages d’acteurs clés à l’appui, quelques vérités sur le rôle des uns et des autres pendant la Révolution. Il aura eu aussi le mérite de jeter la lumière, encore une fois sur un homme, proscrit, mais qui reste à ce jour le référent nécessaire et indispensable à la refondation de l’Algérie qui se cherche encore, cinquante ans après son indépendance. Pour l’auteur, il s’agit de séparer la critique objective des hommes et des faits d’histoire des commérages.

“Comme le lecteur s’en rendra compte tout au long de cet ouvrage, nous-mêmes, ne nous privons pas de la critique chaque fois qu’elle est de mise. Mais nous sommes également là pour freiner les ardeurs malintentionnées de tous ceux qui confondent la critique doctrinale saine et nécessaire avec le commérage et la détraction gratuite, fielleuse et sans risques, ou profèrent des ragots (…)”. À lire.

K. K.

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