Avril 80 : Printemps berbère ou kabyle ? (1ere part)

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En 18 ans d’indépendance, la Kabylie est restée de marbre devant toutes sortes de provocations, privations et d’interdictions. Le dédain, loin de diminuer ou de rabaisser son attachement à son identité, ne fera que l’accroître.

La France libérée de la Wehrmacht subissait son destin et s’employait à dominer le nôtre. Les islamistes d’alors somnolaient sous le fez turc. Assimilationnistes, ils restèrent respectueux envers la « générosité de la glorieuse France » tant qu’elle tolérait ou protégeait les rites musulmans. Retour ligne automatique
Ferhat Abbas, manifestement assimilationniste aussi, avait écrit avant de devenir comme par enchantement président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) qu’il avait visité tous les cimetières pour questionner les morts sur la nation algérienne et aucun de ces morts ne lui avait donné une réponse lui permettant de supposer que la nation algérienne existait vraiment. Il avait moins de certitudes que les morts dont il perturbait le sommeil mais sa question était juste s’il ne l’avait pas posée pour, vraisemblablement, subordonner l’Algérie à l’administration coloniale. En marge, des kabyles, partisans de l’identité berbère s’activaient à préparer l’insurrection. La chanson patriotique “Ekker a mmis umazigh” (Debout, fils d’Amazigh) conçue en hymne appelait à la lutte armée contre la France.

Avant les événements du 8 mai 1945, Benaï Ouali, un militant kabyle acquis depuis longtemps au principe de la lutte armée contre la France, propageait les thèses anticolonialistes. Il développera le PPA en Kabylie. Au premier congrès du PPA-MTLD (février 1947), il intégrera le comité central. Avec ses amis, Amar Ould Hamouda et M’barek Aït Menguellet, ils avanceront, honorant la mémoire de leur ami Ali Laïmeche, décédé au maquis une année plus tôt en août 1946, l’impératif de la prise en charge de la question identitaire. Ce qui ne sera pas du goût de Messali Hadj.

Bien que la dimension berbère soit reconnue par une grande partie des cadres du PPA-MTLD, l’Algérie de Messali a une mémoire courte. Elle est née avec l’invasion arabe. Sectaire, Messali Hadj voyait dans la berbérité le syndrome d’une contre-révolution périlleuse pour la « Umma ». On parlera de la « crise berbériste » alors qu’il s’agissait d’un complot antiberbère !

Messali ne cessera jamais de dénoncer les militants de la cause berbère. L’administration coloniale lui tendra la perche. Elle procédera à l’arrestation des kabyles Amar Ould Hamouda, Saïd Oubouzar et bien d’autres. Ils seront frappés d’ostracisme et poursuivis par l’anathème jusqu’au fond de leur cellule. Les services de renseignements français joueront la carte Messali. Ils exploiteront avec quelques succès l’attentat en août 1949, commandité par la direction du PPA, contre un militant kabyle, Ali Ferhat, pour faire diversion et isoler le courant progressiste. La propagande coloniale distillait dans la conscience algérienne la menace d’un mouvement séparatiste : le Parti du Peuple Kabyle, le PPK. Une bénédiction pour Messali, il va exposer une lettre qu’aurait écrite de prison Benaï Ouali dans laquelle il prêtait allégeance à la fantomatique organisation. Ce faux, distribué dans les rangs du PPA, isole les tenants de l’aile radicale, laïcs, patriotes, partisans de la lutte armée, ils seront accusés de sécessionnisme.

 

À partir de l’année 1952, plusieurs militants de la cause amazighe seront assassinés. Ali Rabia, Amar Ould Hamouda et M’barek Ait Menguellet, taxés de berbéro-communistes, seront éliminés physiquement en 1956. Benaï Ouali, pourtant mis en garde par le colonel Ouamrane, sera exécuté, lui aussi, en 1956

Les responsables politiques du FLN se cantonneront dans le silence devant ces crimes fomentés et perpétrés par des officiers supérieurs de I’ALN dont Krim Belkacem acquis à la notion arabisante de l’Algérie. Excité par la ruse et la jubilation, Ahmed Ben Bella, de son lieu de détention, applaudira la mise à mort, le 27 décembre 1957, de l’idéologue de la plate-forme de la Soummam, Abane Ramdane. En 1981, dans son journal El Badil, il manifestera encore une fois son animosité envers Abane « le laïc qui a contaminé le mouvement révolutionnaire ». Il récidivera en 2002 sur la chaîne El Jazeera en accusant Abane d’être un « traître »

Le mythe de l’Algérie française rendait l’âme, l’Algérie nouvelle naissait et les espoirs… seront étouffés. Ben Bella, premier Président prescrit à l’Algérie, ne voyait « pas de socialisme ni d’avenir pour le pays sans l’arabisation ». L’hymne à l’indépendance n’avait pas encore retenti que Ben Bella nous reniait par trois fois. Il déclarait de Tunis : « Nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes, nous sommes des Arabes » II crut nécessaire de surajouter, « nous sommes dix millions d’Arabes »

 

D’instinct, la Kabylie s’oppose à celle dérive panarabiste. La contestation initiée par Krim Belkacem, entre autres, sera prise en charge par Aït Ahmed qui lui donnera une coiffure socialisante version Josip Broz Tito. La lutte des clans sera à l’origine du Front des Forces Socialistes (FFS) et fera de la Kabylie le théâtre d’opérations militaires. 422 kabyles périront. Aït Ahmed sera arrêté et, selon toute vraisemblance, autorisé, par la suite, à s’évader, en 1966.

Le terrain était propice à la prise du pouvoir par le courant militariste. La gangrène fascisante s’en empare avec l’arrivée de l’arabo-islamique Mohamed Boukherouba de l’armée des frontières. Par populisme ou par superstition, il prend pour nom Houari Boumediene, nom de deux marabouts de l’Ouest. Toutes ses tentatives visant à réduire à néant la conscience berbère resteront vaines, même s’il conditionne, par ordonnance à partir du 26 avril 1968, le recrutement des cadres à la maîtrise de la langue arabe.

Bravant les chantages du régime, des étudiants, créent un cercle culturel berbère à la cité de Ben Aknoun. En 1968, commencera alors le cycle de conférences animées par Mouloud Mammeri et en 1969, Saïd Hanouz et Mohand Arab Bessaoud lanceront à Paris l’Académie « Agraw Imazighen ». Quoiqu’artisanale, l’institution verra son champ d’activité s’étendre à tout le sous-continent nord-africain.

 

En signe de parade, Boumediene arborera son orgueil devant les nations quand il abritera en juillet 1969 le Festival Culturel Panafricain, il invitera toutes les cultures du continent à chanter le fier guerrier de nos contrées… Par contre, il interdira de scène la chanteuse et romancière d’Ighil Ali, Taos Amrouche. Tous les artistes Kabyles feront l’objet de la même discrimination. Dans le microcosme politique, le silence est sidéral. La fameuse UNEA, l’Union Nationale des Étudiants Algériens, pourtant liée au courant socialo-communiste, n’émettra aucune objection… Son « soutien critique » au pouvoir ne la préservera pas des foudres du dictateur au cigare. Dissoute en 1971, ses membres – spécialement les kabyles- seront arrêtés et torturés.

Les sigles n’échapperont pas à la folie d’arabisation. La Jeunesse Sportive de Kabylie est transformée en Jamïat Sariï al Kawakeb. L’aberration ! La réforme du sport est dictée par le seul souci d’arabiser l’environnement et par là, les consciences… Cet acharnement conduira l’armée aux côtés des gendarmes et policiers à réprimer la population de Larbaa Naït Irathen, lors de la fête des cerises en juin 1974. La foule était mécontente d’être forcée à écouter, au centre de la Kabylie, seulement des chansons en arabe, La chanson kabyle connaissait pourtant un essor enviable avec un répertoire de qualité, enrichi par les talentueux, Ferhat Imazighen Imoula, Idir et bien d’autres.

Le mépris officiel envers la culture berbère interdit l’enregistrement à l’état civil des noms autres que musulmans. Les nouveaux venus devaient naître d’abord arabes et musulmans pour devenir ensuite algériens, quand ils en auront la conviction. Des lycéens sont exclus pour le seul « crime » d’avoir accueilli une pièce de théâtre de Kateb Yacine dans la langue de leurs ancêtres. Cette haine fera basculer un fils de chahid, Mohamed Haroun, dans la violence. Avec trois de ses amis, Smaïl Medjeber, Kaci Lounès et Hocine Cheradi, il dirigera les attentats à la bombe contre le siège du journal El Moudjahid et les tribunaux militaires d’Oran et de Constantine. Leur objectif était d’attirer l’attention sur le problème et non de faire des victimes. Évidemment, Boumediene suivait de très près le mouvement de Haroun. Ses services, en sous-main, « l’encouragèrent » afin de diaboliser la Kabylie. Haroun et ses amis seront condamnés le 2 mars 1976 par la Cour de Sûreté de Médéa à la peine capitale. Ils ne seront graciés qu’après 12 années de détention.

Le régime de Boumediene inaugure la foire des constitutions taillées sur mesure. En juin 1976, l’Algérie est définie « partie intégrante de la nation arabe » par une charte dite nationale.

Le feed-back ne tardera pas à venir, ce sera le 19 juin 1977, date commémorative du « redressement révolutionnaire ». Lors de finale de la Coupe d’Algérie de football opposant l’équipe de Kabylie à celle d’Hussein Dey, les supporter Kabyles prennent à partie Boumediene, présent dans la tribune officielle, et scandent des slogans hostiles à son pouvoir. Pour la première fois la démocratie est revendiquée dans la rue.

Boumediene s’attaquera à la connotation kabyle du club récalcitrant. Il s’attelle à l’intégration immédiate des clubs dans les entreprises sous prétexte de parrainage. La JSK changera de nom encore une fois et devient Jamïa Electronic Tizi-Ouzou (JET), intégrée à la Sonelec, une entreprise nationale. Le génie populaire facétieux transforme JET en… Jugurtha Existe Toujours.

En 18 ans d’indépendance, la Kabylie est restée de marbre devant toutes sortes de provocations, privations et d’interdictions. Le dédain, loin de diminuer ou de rabaisser son attachement à son identité, ne fera que l’accroître. L’annulation le 10 mars 1980 de la conférence de Mouloud Mammeri sur « Les poèmes kabyles anciens » qui devait avoir lieu à l’université de Tizi-Ouzou donnera le signal d’une série de grèves et de manifestations qui vont mettre à mal la quiétude du régime arabo-islamique de Chadli… Les marches se succéderont à Tizi-Ouzou et s’étendront à Alger. Les forces de répression donneront l’assaut sur l’université de Tizi-Ouzou le 20 avril 1980. Une opération baptisée “Mizrana” est lancée à 4 h du matin par les unités spéciales de l’armée et de la police contre les étudiants à Hasnaoua et Oued Aïssi. La cité de jeunes filles de Medouha ne sera pas épargnée. Les chiens sont lâchés. C’est le bruit de bottes et de la matraque. Des professeurs sont arrêtés à leur domicile. Tout le personnel de l’hôpital, médecins et infirmiers, est remplacé par des militaires. Le printemps de 1980 donnera naissance, formellement, au Mouvement Culturel Berbère (MCB).

La télévision algérienne, moulée dans le mensonge et la vindicte, appellera au lynchage des Kabyles « traîtres et impies qui ont brûlé et le Coran et l’emblème national » ! Vingt-quatre militants seront arrêtés. Inculpés de délits passibles de la peine de mort, ils seront présentés à la Cour de Sûreté de l’Etat de Médéa le 16 mai 1980 .Les 24 détenus, seront néanmoins libérés le 25 juin 1980 sous les pressions populaires.

 

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