Dans un asile afghan, on soigne avec du poivre

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Situé à quelques kilomètres de Jalalabad, capitale du Nangarhar, province instable bordée par le massif himalayen de l’Hindou Kouch, le sanctuaire de Mia Ali Baba offre une thérapie non orthodoxe, à rendre fou de rage le plus sérieux des psychiatres occidentaux.

Din y égrène de longs jours assis sur une couverture crasseuse jetée sur le sol en terre d’une petite cellule de 4 m2 aux murs de pierre décrépits. Le plafond est bas, il n’y pas de porte, mais à quoi bon, car ses chevilles et ses poignets sont emprisonnés par de lourdes chaînes.

«Je me suis disputé avec mon père», raconte le jeune homme. «Je lui ai pris de l’argent pour m’acheter une moto, alors il m’a amené ici», dit-il.

Le sanctuaire compte une vingtaine de cellules comme la sienne, mais seulement quelques-unes sont occupées. Logées dans un bâtiment bas et rustique, elles donnent sur un cimetière et un mausolée, où repose le fondateur des lieux, Mia Ali Sahib, mystérieux personnage du XVIIe siècle, à la fois guerrier et guérisseur d’après la légende.

«Les gens venaient déjà, il y a 360 ans, se faire soigner ici», explique Malik, le responsable des lieux.

Spécialisé dans les maladies mentales et les exorcismes, le sanctuaire serait tout aussi efficace pour soigner les problèmes de fertilité ou les maux de tête chroniques, assure Malik.

Bouillon de tête de mouton

A condition d’accepter un traitement qui n’a pas changé en près de quatre siècles.

«Les patients sont enchaînés pendant 40 jours, et mis à la diète. Ils ont du pain, avec du poivre noir, et de l’eau», détaille Malik.

Au terme de cette cure, ils sont arrosés avec le bouillon de cuisson d’une tête de chèvre, une opération censée les «purifier».

Abdul, la trentaine, a été interné par sa famille, comme la plupart des occupants. «Je ne voulais pas venir, c’est mon frère qui m’a forcé», bredouille-t-il au milieu d’une logorrhée inintelligible.

Sa cellule empeste la sueur et l’urine, elle est jonchée de détritus, de linge souillé. Des enfants du village se moquent de lui, le tarabustent pour le pousser à réagir, avant de battre en retraite en riant quand il se met à secouer avec véhémence ses chaînes.

Ce traitement aurait permis de soigner des «milliers» de personnes, affirme Malik, un chiffre difficilement vérifiable et qui laisse perplexe plus d’un spécialiste.

«Évidemment, si vous ne donnez rien à manger à quelqu’un, quelle que soit son agressivité initiale, il sera beaucoup plus calme après quarante jours», souligne le Dr Temor Shah Mosamim, directeur d’un hôpital psychiatrique à Kaboul.

«Je ne pense pas que ce traitement ait une quelconque base scientifique».

Ces méthodes soulèvent également des interrogations quant au respect des droits fondamentaux des personnes internées, remarque Heather Barr, responsable de l’organisation Human Rights Watch pour l’Afghanistan.

Rêves d’évasion

«Cet établissement devrait être fermé, ses pratiques ne sont pas compatibles avec les droits de l’homme», dit-elle.

«Les infrastructures pour soigner les malades mentaux en Afghanistan sont encore très primaires et n’ont malheureusement jamais figuré parmi les priorités des bailleurs de fonds du pays, malgré les expériences dramatiques vécues par un très grand nombre de personnes».

Le Dr Rafiullah Bidar, membre de la Commission indépendante pour les droits de l’homme afghane (AIHRC), et qui a visité le sanctuaire à plusieurs reprises, appelle pour sa part à faire preuve de tolérance.

«Certes, dit-il, ces patients sont privés de bonnes conditions de vie et d’hygiène». Mais pour certaines familles, incapables de payer des soins, ou parce qu’elles ont épuisé tous les autres recours médicaux, «c’est la solution de la dernière chance».

Sa dernière chance, Abdul semble plutôt penser qu’il devrait la saisir hors des murs du sanctuaire: sans doute lassé d’attendre le bouillon de tête de mouton, il a tenté à plusieurs reprises de prendre la poudre d’escampette. Avant d’être rattrapé par Mir Shafiqullah, un colosse qui fait office de gardien et d’homme à tout faire.

«Ils utilisent des pierres pour creuser, ôter leurs chaînes et s’échapper. Il faut les retrouver et les ramener», explique-t-il.

«Parfois les familles ne viennent pas chercher les malades, qui peuvent rester là six, huit mois, avant de mourir», dit-il, tout en désignant la cour du sanctuaire. «Alors on les enterre. Là».

© 2013 AFP

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