Le Printemps Noir de Kabylie au scalpel

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Pouvoir assassin ! de Mahiout Merhab
Pouvoir assassin ! de Mahiout Merhab

KABYLIE (Tamurt) – 17 ans après la révolte populaire de 2001, très peu d’analyses ont été proposées sur la répression sauvage des manifestations pacifiques et de la crise politique qui s’en est suivie. Ce vide vient d’être partiellement comblé avec la publication de l’ouvrage « Pouvoir assassin » par l’universitaire Mahiout Merhab.

Dès l’introduction, l’auteur annonce l’ambition du livre : introduire le débat sur cette période charnière du combat démocratique promu par la Kabylie des années durant envers tous les Algériens mais en vain. Il part d’un parti pris assumé : une distinction nette entre le mouvement de révolte et la représentation politique qui en a pris la direction.

Dans la première partie, les raisons profondes de la révolte populaire sont explorées : une crise socio-économique qui a plongé de larges pans de la société, en particulier les jeunes, dans la marginalité, une démocratie sous surveillance qui a confisqué tous les espaces de médiation, une classe politique coupée des réalités sociales devenues la caisse de résonance des orientations du système, un pouvoir arrogant au faite de sa puissance qui a tourné le dos aux aspirations populaires…

La révolte juvénile de 2001 est replacée dans le contexte général pré-insurrectionnel que la Kabylie a connue à cette période où pas moins de 150 jeunes pacifistes assassinés durant les émeutes d’ampleur et de durées variables. L’auteur explore les raisons qui ont fait que les manifestations de Kabylie ont pris une ampleur qui a conduit à l’irréparable. La longue tradition de luttes démocratiques que la Kabylie a acquise par les échanges soutenus et continus avec le reste du monde via l’émigration agissante, le caractère rebelle de la Kabylie vis-à-vis des régimes successifs.

Enfin, l’interprétation de la nature profonde des manifestations a été passée en revue par l’auteur qui a déconstruit la thèse du régime algérien et ses relais locaux en Kabylie qui ont tout fait pour réduire le mouvement à sa seule dimension identitaire dans le but de le contenir dans le strict périmètre territorial de la Kabylie dans le dessein de réprimer sauvagement sans aucune solidarité exterieur. Au contraire, cette révolte a été analysée comme étant à la fois politique, socio-économique et identitaire.

La seconde partie a été consacrée à la réemergence des coordinations des assemblées des villages comme commandement collectif du mouvement citoyen.

Cette émergence a été favorisée par le vide politique provoqué par ces manifestations que personne n’a vu venir malgré les multiples signaux d’alerte, en particulier les émeutes qui ont suivi l’assassinat de Matoub Lounes, qui plus est, ont engendrées trois assassinats de jeunes et qui ont conduit à l’évanouissement de toutes les institutions de médiation (instances élues, partis politiques, syndicats, associations…). Ce qui a conduit la population à se prendre en charge dans le cadre des assemblées de villages. Chemin faisant, ces dernières ont fini par s’imposer en tant que commandement collectif du mouvement citoyen qui s’est comporté comme un greffe sur le mouvement réel. Mais la greffe n’a pas pris longtemps, malgré quelques succès au départ, notamment l’organisation d’imposantes marches populaires à Alger, Tizi, Bougie et Bouira.

La raison principale de ce refus de la greffe revient, selon l’auteur, à la composante humaine hétéroclite de ce commandement qui, pour survivre, a été obligé d’emprunter le chemin escarpé d’une radicalité sans principe, de tourner le dos à un fonctionnement démocratique et de gérer les événements par le recours abusif à l’épreuve de force. Sans compter l’erreur d’analyse de l’étape historique que les animateurs du commandement collectif ont identifiée comme étant une étape de rupture qui pouvait excuser tous les excès alors qu’il ne s’agissait que d’une étape d’accumulation. Cette erreur les a logiquement conduits à refuser tout dialogue avec le pouvoir algérien lorsque le mouvement de révolte était au fait de sa puissance, pour ensuite engager la négociation une fois la rue démobilisée.

Hormis certains délégués du mouvement qui ont tout fait pour indiquer et vilipender le cap imprimé par les partisans de la négociation au rabais et dépasser par la même les solutions conjoncturelles pour des questions posées avec acuité et pertinence par les revendications par toute la société kabyle par la négociation s’en est suivie.
Mahiout Merhab dissèque les questions laissées en jachère depuis le Printemps Noir de 2001, sans réponses que la société politique et les intellectuels de tous bords devait apporter pour débattre les problématiques de fond.

Massy Koceila

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