Maroc : trois projets de Constitution et des doutes

2
599
Maroc
Maroc

Tout est dans son préambule. La nouvelle Constitution marocaine, qui devrait être approuvée sans difficulté par voie référendaire le vendredi 1er juillet, est résolument progressiste dans ses termes. Ce texte esquisse un modèle de « démocratie participative » et accorde aux étrangers vivant au Maroc le droit de vote aux élections locales. Il compte trente-six occurrences du mot « liberté », contre neuf dans la Constitution de 1996, vingt et un pour « démocratie » contre deux, huit pour « solidarité » contre un, et six pour « femme » contre un. Cette réforme prône le respect des libertés individuelles et collectives, rétablit une certaine égalité entre tous les Marocains, dont la première incarnation est le relèvement par l’article 44 de l’âge de la majorité du prince à 18 ans au lieu de 16. Cependant, ces quelques avancées sont contrebalancées par un renforcement de la fonction du roi.

La réforme, préparée par la Commission consultative dirigée par M. Abdeltif Menouni, devait répondre aux manifestations de mécontentement lancées par le mouvement du 20 février. Mais c’est une réponse gênée et inquiète qui est donné aux questions des Marocains. « Le projet de constitution, confie un invité de la commission, a été retouché à la dernière minute par le conseiller du roi Mohammed Moatassim, avec la complicité du parti conservateur Al-Istiqlal et des islamistes du Parti de la Justice et du Développement [PJD]. » Le Monde diplomatique a obtenu quelques notes du projet initial écrit en français et qui n’a pas été rendu public. Des notes qui prouvent qu’il y a eu, par la suite, une volonté de verrouiller les acquis politiques du premier projet.

La Constitution proposée au départ relativisait la place de la religion. Quelques changements ont alors été apportés pour rattraper cela. A titre d’exemple, le « pays musulman » est devenu l’« Etat musulman ». A l’énumération des composantes de l’identité nationale a été ajouté : « La prééminence accordée à la religion musulmane dans ce référentiel national va de pair avec l’attachement du peuple marocain aux valeurs d’ouverture… ». D’un point de vue géopolitique, la Commission consultative a placé les relations avec l’Afrique avant « la coopération et la solidarité avec les pays du Moyen-Orient et les pays musulmans ». Cet ordre a été inversé et la dernière phrase modifiée pour devenir : « Approfondir le sens d’appartenance à la Oumma arabo-islamique, et renforcer les liens de fraternité et de solidarité avec ses peuples frères. » L’article 19 préconisait dans sa première forme que « l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental… ». Une avancée qui a été encadrée par cette précision que l’égalité devra se faire « dans le respect des dispositions de la Constitution, des constantes et des lois du Royaume. » Des constantes « immuables » comme le laisse supposer cet autre ajout à l’article 175 : « Aucune révision ne peut porter sur les dispositions relatives à la religion musulmane… ».

« La langue arabe et la langue amazighe sont les deux langues officielles du Maroc », stipulait la première version du texte, une phrase remplacée dans la seconde par : « La langue arabe est la langue officielle du Maroc. Elle est suivie par l’amazighe ». Le projet présenté par le roi est donc plus accompli que la deuxième mouture, mais moins progressiste que la première. Le texte qui sera voté est très proche de la constitution française et rappelle la Constitution de 1908, la plus avancée que le Maroc aurait pu avoir sur le plan des libertés civiles, et dont la mise en œuvre a été empêchée par l’avènement des « protectorats » français et espagnols.

Pourtant, la fonction du roi sort renforcée par la nouvelle Constitution. « Commandeur des croyants » – comme dans la Constitution de 1996 –, « arbitre suprême entre ses institutions », il est aussi « le Chef Suprême des Forces Armées Royales. Il nomme aux emplois militaires et peut déléguer ce droit. » « Le Roi peut, après avoir consulté le Président de la Cour Constitutionnelle et informé le Chef du Gouvernement, le Président de la Chambre des Représentants et le Président de la Chambre des Conseillers, dissoudre par dahir [décret], les deux Chambres ou l’une d’elles seulement. » La nouveauté vient du fait qu’il « veille au respect de l’Islam. Il est le Garant du libre exercice des cultes. Il préside le Conseil supérieur des Oulémas, chargé de l’étude des questions qu’Il lui soumet. » Si, d’une part, la constitution décrit le Maroc comme « une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale », l’article 64 interdit la revendication d’un régime autre que monarchique. Ainsi, aucun député ne peut être poursuivi ou arrêté pour ses opinions politiques, « hormis le cas où l’opinion exprimée met en cause la forme monarchique de l’Etat, la religion musulmane ou constitue une atteinte au respect dû au Roi. »

Liberté d’expression, interdiction des arrestations arbitraires, un pouvoir judiciaire indépendant… l’esprit progressiste de la réforme demande à croire en la bonne foi du roi. L’interdiction de la torture par l’article 22 de la nouvelle Constitution figurait déjà dans l’article 10 de la Constitution de 1996. Cela n’a pas empêché l’arrestation et la condamnation de plusieurs opposants. Par ailleurs, comme pour de nombreuses autres concessions, les droits de l’opposition seront déterminés par des « lois organiques » définies dans l’année qui suit la validation référendaire de la nouvelle Constitution.

Si l’on accordait au roi le bénéfice de la sincérité, pour que cette réforme tienne ses promesses, il faudrait qu’il y ait une évolution dans les mentalités de sa cour. D’après un membre du mouvement du 20 février établi en France, « les conseillers du roi n’osent même pas lui rappeler les rendez-vous qu’il a dans son agenda ou les dossiers qu’il a oublié de signer car le faire sous-entendrait que le monarque est une personnalité faillible. »

Une autre raison pour douter de l’application de la nouvelle constitution vient des objectifs sociaux qu’elle se donne et qui sont au-delà des moyens financiers du Makhzen [[Le mot arabe makhzen désigne au Maroc la structure politico-administrative sur laquelle repose le pouvoir.
Démocratie, Droit, Élections, Jeunes, Mouvement de contestation, Monarchie, Réveil arabe 2011-, Maroc]] . Il est ainsi prévu que l’Etat soutiendra les catégories sociales vulnérables, notamment les jeunes, les femmes, les enfants et les personnes handicapées. En plus, il « est créé, pour une période déterminée, au profit des régions, un fonds de mise à niveau sociale destiné à la résorption des déficits en matière de développement humain, d’infrastructures et d’équipements. ». Mais avec un produit intérieur brut (PIB) de 91 milliards de dollars en 2010, il est difficile de croire que le roi puisse tenir ces promesses. D’autant qu’il a fait de la lutte contre la pauvreté – qui touche un quart de la société – son cheval de bataille dès son accession au trône en 1999 et qu’il a lancé, en 2005, l’« Initiative nationale pour le développement humain », sans jamais réussir son pari.

Le Makhzen profite de la réforme en cours pour renforcer sa politique de « régionalisation », laquelle est inscrite dès le premier article : « L’organisation territoriale du Royaume est décentralisée, fondée sur une régionalisation avancée. » La partie réservée aux « régions et collectivités territoriales » passe de trois articles dans le texte de 1996, dans lequel ne figure pas le terme « régions », à douze dans la Constitution réformée. Cette « régionalisation avancée » est un programme qui vise à convaincre les Sahraouis d’accepter l’offre royale d’une « autonomie élargie » au lieu de l’indépendance exigée par le Front Polisario, comme le souligne le rapport rédigé cette année par la Commission consultative de la régionalisation : « Nous entendons, entre autres objectifs majeurs, placer nos provinces du Sud récupérées parmi les premiers bénéficiaires de la régionalisation avancée. Le Maroc, en effet, ne peut se cantonner dans l’immobilisme, alors que les adversaires de notre intégrité territoriale s’évertuent à entraver le processus onusien visant à trouver une solution politique réaliste et mutuellement acceptable au conflit artificiel suscité autour de ces provinces, solution fondée sur Notre Initiative d’autonomie, réservée au Sahara marocain. »

La diaspora marocaine dans le monde a toujours intéressé Mohammed VI. Elle représente un capital matériel et la matière grise dont a besoin le pays. Pour cela, elle bénéficie aussi de nouvelles mesures inscrites dans la Constitution qui lui reconnaît le droit de participer à la vie politique du royaume : « Le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger est chargé notamment d’émettre des avis sur les orientations des politiques publiques permettant d’assurer aux Marocains résidant à l’étranger le maintien de liens étroits avec leur identité marocaine, les mesures ayant pour but de garantir leurs droits et préserver leurs intérêts, ainsi qu’à contribuer au développement humain et durable de leur pays d’origine et à son progrès. »

Le projet de la Commission Menouni se veut innovant puisqu’il crée un certain nombre d’institutions appelées à veiller au respect et à la réalisation du « programme » politique dessiné par la nouvelle Constitution, comme le Conseil national des langues et de la culture marocaine, l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination ou encore l’Instance nationale de la probité et de lutte contre la corruption, alors qu’un Conseil supérieur du pouvoir judiciaire devrait remplacer le Conseil supérieur de la magistrature.

2 Commentaires

  1. oui une constitution nouvelle avec des libertés ,la séparation des pouvoirs ,mais c’est des marocains qui vont l’appliquer ! Vous avez vu comment des libertés garanties déjà dans l’ancienne constitution n’ont pas été respectées ,la liberté d’expression bafouée (Nini en sait quelque chose !).Donc ce qu’il nous faut ce n’est pas ,à mon avis , une constitution à la quelle personne n’aura recours et qui ne fait qu’établir un statu-quo;mais plutôt une garantie que ce texte serait appliqué à a lettre.De toutes les revendications de la rue ,l’Etat n’a retenu que celle qui allait lui permettre de gagner du temps ,celle qui allait lui permettre de diviser ,de noyer les autres revendications dans celle de la constitution ,et de laisser le temps au temps ,une fois la lumière des flashs éteints ,retour à la non/constitution ;il faut être marocain pour comprendre ce que cela veut dire .

  2. oui une constitution nouvelle avec des libertés ,la séparation des pouvoirs ,mais c’est des marocains qui vont l’appliquer ! Vous avez vu comment des libertés garanties déjà dans l’ancienne constitution n’ont pas été respectées ,la liberté d’expression bafouée (Nini en sait quelque chose !).Donc ce qu’il nous faut ce n’est pas ,à mon avis , une constitution à la quelle personne n’aura recours et qui ne fait qu’établir un statu-quo;mais plutôt une garantie que ce texte serait appliqué à a lettre.De toutes les revendications de la rue ,l’Etat n’a retenu que celle qui allait lui permettre de gagner du temps ,celle qui allait lui permettre de diviser ,de noyer les autres revendications dans celle de la constitution ,et de laisser le temps au temps ,une fois la lumière des flashs éteints ,retour à la non/constitution ;il faut être marocain pour comprendre ce que cela veut dire .

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici