Messaoud Mentri : «Le procès de Pinochet a remis en cause l’immunité des chefs d’Etat»

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– Pouvez-vous, d’abord, nous définir en quelques mots la CPI ?

La Cour pénale internationale a été instaurée par le traité de Rome du 17 juillet 1998. Le statut de la CPI est entré en vigueur le 1er juillet 2002. La plupart des pays du Sahel l’ont ratifié et il faut signaler que le Sénégal a été le premier pays à avoir ratifié le traité de Rome le 2 février 1999, le Bénin l’a ratifié le 22 janvier 2002, le Mali le 19 août 2000, le Niger le 11 avril 2002. L’objectif de la CPI est de poursuivre et de punir les auteurs des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des crimes de génocide et d’agression – lorsque la notion d’agression aura été définie. La communauté internationale doit veiller à ce que les auteurs des violations des droits de l’homme ne restent pas impunis car il est manifeste que les conséquences de l’impunité sont néfastes. En refusant l’impunité, l’objectif est, d’une part, de décourager la répétition des violations et, d’autre part, de renforcer la primauté du droit.

– Est-ce que la CPI, compte-tenu de sa compétence universelle, est capable et a les moyens de poursuivre un grand nombre de personnes ? Y compris les chefs d’Etat ?

Il est préférable de donner la priorité à la poursuite des commanditaires des crimes punis par la CPI. C’est en attaquant la source de ces crimes que l’on pourra les éliminer. La présidence de la République, elle, est un organe particulier : le président incarne l’Etat et revêt une dignité qui doit être respectée. C’est pourquoi, il est généralement admis que le chef d’Etat en fonction bénéficie d’une immunité de juridiction. Mais selon le statut de la CPI, la cour est compétente quelle que soit la qualité officielle de la personne poursuivie. L’article 27 du statut de la cour précise que la qualité de chef d’Etat, de chef du gouvernement, de ministre et de membre du Parlement n’exonère en aucun cas la responsabilité pénale. Le statut de Rome n’a pas innové sur cette responsabilité. Selon l’article 7 du statut du tribunal de Nuremberg, «la situation officielle des accusés, soit comme chef d’Etat, soit comme haut fonctionnaire ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni comme un motif à diminution de la peine». Ce principe a été repris dans l’article 7/2 du Tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie.

– L’immunité judiciaire ne met donc pas un chef d’Etat à l’abri des poursuites…

L’immunité de juridiction dont bénéficie le président de la République ne constitue pas une entrave à sa poursuite. Il faut distinguer les actes accomplis dans le cadre de l’exercice des fonctions présidentielles et les autres actes accomplis au cours de l’exercice d’un mandat. Le président de la République ne bénéficie de l’immunité de juridiction que pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions présidentielles. S’il commet un acte qui n’entre pas dans le cadre des prérogatives qui lui sont conférées dans la constitution de son pays, par exemple un crime de guerre, un crime de génocide, un crime contre l’humanité ou un crime d’agression, il perd cette immunité car de tels actes sont contraires aux règles de droit international, notamment du droit international humanitaire, considérées comme impératives. Le Parlement européen a adopté le 26 septembre 2002 une résolution affirmant qu’«aucun accord d’immunité ne doit permettre de laisser impunie une personne accusée de crime de guerre, de crime contre l’humanité ou de génocide». Il faut cependant que l’Etat dont est ressortissant le président de la République soit partie au statut de la CPI ou que le crime soit commis sur le territoire d’un Etat ayant reconnu la compétence de la cour. Il sera puni même si le crime est commis par un subordonné à la suite d’un ordre émanant de lui ou encore s’il a apporté son appui ou donné des encouragements à l’accomplissement des crimes punis dans le statut de la CPI. La responsabilité du président de la République sera par ailleurs dégagée s’il apporte la preuve de sa totale ignorance des actes de crimes ou encore en cas d’effondrement total de l’Etat et de non-disponibilité de son système judiciaire national.

– La poursuite doit donc être engagée sous réserve de règles et procédures spéciales ?

Il n’existe pas de procédure spéciale de poursuite d’un président. Il est soumis aux mêmes règles de procédures applicables aux individus. Il peut être poursuivi à la demande d’un Etat-partie, du procureur – organe de poursuite de la CPI – ou encore du Conseil de sécurité des Nations unies. Il sera traduit après la phase d’information et de poursuite menée par le procureur, après accord de la chambre préliminaire devant la chambre de première instance de la cour comme n’importe quel autre individu, et il a la possibilité de faire appel du jugement devant la chambre d’appel. Les mêmes peines applicables aux individus peuvent lui être infligées (emprisonnement à temps avec un maximum de trente ans et dans certains cas la perpétuité sans oublier les amendes, la confiscation des profits, biens et avoirs tirés directement ou indirectement du crime). Les peines d’emprisonnement sont accomplies dans un Etat désigné par la cour sur une liste de pays candidats.

– Et lorsqu’il n’est plus en fonction, un chef d’Etat peut-il être facilement poursuivi ?

Tout dépend de la position de son Etat d’origine. Il peut refuser de lui lever l’immunité de juridiction comme il peut accepter qu’il soit poursuivi pour les actes commis qui n’entrent pas dans le cadre de ses prérogatives définies par la Constitution et qui constituent des infractions au regard du droit international. Cependant, le procès de Pinochet a remis en cause l’immunité des anciens chefs d’Etat et l’application du principe de la compétence universelle.

– D’après vous, la poursuite du président de la République devant la CPI ne porte-elle pas atteinte à la souveraineté étatique ?

Non. La poursuite du président de la République ne constitue pas une atteinte à la souveraineté nationale. En ratifiant le statut de la CPI, les Etats s’engagent à reconnaître sa compétence pour punir les auteurs des crimes internationaux. Il s’agit là d’un acte de libre volonté. En outre, le statut de la CPI a établi un équilibre entre la souveraineté des Etats et les prérogatives de la CPI. La priorité est donnée à la compétence des juridictions nationales pour poursuivre les auteurs des crimes par la CPI. Ce n’est qu’en cas de défaillance de ces juridictions que la CPI va intervenir pour engager les poursuites. Le statut de Rome révèle cependant quelques limitations à la souveraineté étatique. En dépit de la priorité reconnue aux juridictions nationales, un Etat n’a pas la latitude pour exonérer éventuellement les auteurs des crimes internationaux, notamment par des mesures de grâce ou d’amnistie ou encore en application d’une règle interne en matière de prescription. Une telle décision entraîne, en vertu de l’article 20/3 du statut, la compétence de la CPI et placerait ces juridictions dans l’impossibilité de poursuivre et de juger les auteurs de tels crimes.

– Au regard des violentes répressions actuelles en Libye et au Yémen, le recours à des poursuites contre le président de la République devient-il une exigence pour le maintien et le rétablissement de la paix dans les pays en conflits majeurs ?

Il existe incontestablement une relation entre la justice pénale internationale et la paix. Il ne peut y avoir de paix sans poursuite pénale des auteurs de crimes graves punis dans le statut de la CPI. Certains considèrent que les mesures d’amnistie, de grâce, ou encore de réconciliation nationale donnent de meilleurs résultats qu’une poursuite devant la CPI. Ils considèrent la réconciliation nationale comme un pardon politique et qui peut donner des résultats positifs. Ils citent l’exemple des pays d’Amérique latine (Chili, Uruguay, Argentine) et tout récemment l’Afrique du Sud, qui sont passés d’une dictature, de violations graves des droits de l’homme à des Etats démocratiques.

– En cas de refus des Etats et du Conseil de sécurité des Nations unies de coopérer avec la CPI, quelles sont les difficultés pouvant surgir ? Comment faire pour les contourner ?

Il est difficile de concevoir une coopération entre la CPI et l’Etat auquel appartient le président de la République. L’Etat va sans aucun doute refuser de poursuivre et de juger ce dernier devant les tribunaux nationaux ou de le traduire devant la CPI. D’autant que le statut de la cour n’a prévu aucune sanction. Le refus par l’Etat-partie d’accéder à une demande de coopération de la cour justifie que celle-ci en prenne acte et en réfère à l’assemblée des Etats-parties ou au Conseil de sécurité lorsque c’est ce dernier qui l’a saisie.

– Dans ce cas, les autre Etats-parties au statut de la CPI seraient-ils en droit de coopérer ?

Il existe une obligation de coopération consacrée dans le statut de la cour mais elle peut être difficilement mise en œuvre. Un Etat peut refuser de demander la poursuite du président de la République d’un autre Etat car considérant cette demande comme étant un acte inamical vis-à-vis de l’autre Etat. La coopération entre la CPI et les autres Etats-parties sera probablement plus réelle lorsque les personnes poursuivies sont de simples individus. Par ailleurs, le statut de la CPI a introduit des dérogations à l’obligation de coopération avec la CPI. Un Etat peut demander, en vertu de l’article 24 du statut de Rome, que ses citoyens, y compris le président de la République, ne soient pas poursuivis devant la CPI durant sept années à partir de la date de sa ratification du statut. Et, il est certain qu’une telle dérogation n’est pas tellement propice pour combattre l’impunité.

– Pensez-vous que la non-ratification du statut de la CPI par plusieurs puissances comme les Etats-Unis peut agir sur son bon fonctionnement ?

Effectivement, le refus de certains Etats comme les Etats-Unis de ratifier le statut de la CPI constitue un autre handicap pour son bon fonctionnement surtout lorsqu’on sait que les Etats-Unis sont les principaux pourvoyeurs de fonds des institutions internationales. Il faut également noter que les procédures inhérentes à la poursuite d’un président de la République nécessitent de colossaux moyens financiers.

– Qu’en est-il alors du rôle du Conseil de sécurité des Nations unies où le dernier mot revient toujours aux Etats-Unis lorsqu’ il s’agit de prise de décisions majeures ?

Le Conseil de sécurité s’est vu reconnaître le pouvoir de saisine de la CPI lorsque des cas de crimes internationaux sont commis. Il pouvait jusqu’à présent demander des avis consultatifs. Mais, en même temps, il s’est vu conférer le pouvoir de suspendre, à n’importe quel moment du déroulement de la procédure, toute poursuite, devant la CPI, de toute personne coupable de crimes internationaux, et ce, pour une durée de douze mois renouvelable autant de fois qu’il le souhaite.

– Ces pouvoirs, les utilise-t-il fréquemment ?

Toute mesure de suspension des poursuites nécessite une résolution qui doit être approuvée par les cinq grandes puissances. Il suffit qu’une puissance utilise son droit de veto pour que la poursuite suive son cours et qu’il n’y ait donc pas de suspension des poursuites.

– Il existe beaucoup de lacunes et d’enchevêtrement entre les compétences de la CPI et les responsabilités des Etats-parties. Comment mettre un terme aux crimes auxquels ont recours des Chefs d’Etats pour se maintenir au pouvoir ?

La poursuite du président de la République devant la CPI ne doit pas reposer exclusivement sur la seule bonne volonté politique des Etats et du Conseil de sécurité. De nouvelles mesures doivent être prises pour rendre effective l’action de la cour. Aussi, il est nécessaire d’introduire des amendements dans les Constitutions notamment en ce qui concerne les dispositions relatives à l’immunité de juridiction du président de la République. Les crimes punis dans le statut de la CPI ne doivent pas pouvoir bénéficier d’une mesure de grâce ou d’amnistie. Il est, en outre, nécessaire de modifier le dispositif législatif des Etats du Sahel, notamment dans ce qui a trait aux règles de prescription car les crimes punis dans le statut de la cour sont imprescriptibles. Il faut également penser à prévoir, dans les codes de procédure pénale, la compétence du procureur à procéder, dans des cas précis, à l’audition des témoins ou à l’inspection du site en dehors de la présence des autorités nationales. La coopération entre le procureur chargé de la procédure d’information judiciaire et les Etats-parties, doit être effective notamment dans la remise des personnes poursuivies à la cour ainsi que dans l’exécution des citations d’amener et les mandats d’arrêt prononcées par la cour. Aussi, il est nécessaire d’apporter des modifications au statut de la CPI si on veut garantir de véritables poursuites contre un président de la République. Le principe de complémentarité ne doit pas s’appliquer quand la personne poursuivie a la qualité de chef d’Etat. Les tribunaux répressifs nationaux n’offrent pas de garanties suffisantes d’impartialité et d’objectivité. Il faut donner une compétence exclusive à la CPI pour poursuivre et juger un président de la République s’il commet un crime puni dans le statut de Rome.

Comprendre :

Le 17 juillet 1998, 120 Etats adoptent le Statut de Rome qui porte la création de la Cour pénale internationale. Ce statut définit le rôle de la CPI, ses compétences, sa composition ainsi que les procédures à suivre en cas de poursuites judiciaires. Il prévoit qu’elle a compétence pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide et le crime d’agression.

La cour peut juger exclusivement les personnes physiques. Entrée en vigueur le 1er juillet 2002, elle est la première juridiction pénale internationale permanente. Il est à noter que les Etats-Unis ou encore l’Algérie n’ont pas ratifié le Statut de Rome. Actuellement, le Statut compte 139 signatures et 112 ratifications.

L’actualité :

La Libye n’a pas ratifié le Statut de Rome. Elle ne reconnaît donc pas la compétence de la CPI. Cependant le Statut de Rome prévoit que le Conseil de sécurité de l’ONU peut saisir la cour afin qu’elle enquête dans un Etat non partie, comme il l’a fait en Libye. Suite à cette enquête, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a demandé, le 16 mai dernier, l’émission d’un mandat d’arrêt contre le dirigeant Mouammar El Gueddafi, son fils, Seïf Al Islam, ainsi que le chef des services de renseignements, Abdellah Al Senoussi, pour crimes contre l’humanité. Cette demande a été récusée par le gouvernement libyen.
Son porte-parole, Moussa Ibrahim, a indiqué, le 16 mai, que la CPI était «dépendante des informations fournies par la presse pour évaluer la situation en Libye». Mercredi, le bureau du procureur a déclaré considérer qu’«une partie du plan criminel mis en œuvre en Libye consiste notamment à dissimuler des crimes». Il a mis en garde les autorités libyennes contre d’éventuelles poursuites en cas d’entraves au bon fonctionnement de la justice.

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