Pourquoi la France a perdu la bataille de la diplomatie culturelle

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A l’heure où la diplomatie française est asphyxiée par des coupes budgétaires drastiques, Alain Juppé, le ministre des Affaires étrangères, et Xavier Darcos, qui dirige l’Institut Français, ont organisé cette semaine un important colloque pour repenser le « soft power » français. Le « soft power », c’est la diplomatie « douce », celle des valeurs, de la culture et d’Internet. Cette politique d' »influence » doit venir renforcer le « hard power », à savoir la force militaire et les pressions économiques classiques de la diplomatie traditionnelle.
Au Collège de France, ce lundi et mardi, tous les ministres concernés -Alain Juppé, Frédéric Mitterrand et Xavier Darcos pour l’Institut français- se sont réunis pour repenser notre « diplomatie culturelle », définie comme « un atout pour la France dans un monde en mouvement ». Des intellectuels de haut niveau ont été mobilisés, ainsi que des diplomates chevronnés. Et on a déjeuné pompeusement pour fêter le bilan enjolivé de la diplomatie Sarkozy depuis cinq ans.

Opération de communication à la chinoise

En fait, le gouvernement tente par cette opération de communication de masquer l’étendue de ses erreurs diplomatiques. Avec un tel colloque, l’échec du « soft power » n’en est que plus criant.
Passons sur la nature même des invités de cette belle manifestation de propagande. A de rares exceptions près, les intervenants sont exclusivement des patrons d’entreprises, des intellectuels coupés des réalités de terrain, des personnalités engagés à droite ou des fonctionnaires à la neutralité suspecte. Qu’on fasse, en outre, animer plusieurs tables rondes, non pas par des journalistes incisifs, mais par les dirigeants mêmes de cette diplomatie française est juste comique. Au moins, on est sûr qu’aucune question qui fâche ne sera soulevée. Cela rappelle la diplomatie chinoise où les choses doivent se passer un peu de la même manière dans les colloques de l’Institut Confucius.
Il y a plus grave: aucune des questions essentielles de la diplomatie moderne n’est évoquée. Parle-t-on par exemple du débat d’idées que la France veut promouvoir mais n’arrive même pas à définir (et que Michèle Alliot-Marie a voulu empêcher en interdisant aux chercheurs du Quai d’Orsay de s’exprimer)? Parle-t-on de l’échec sans précédent de la Direction de la Prospective du Quai d’Orsay qui a bureaucratisé l’ancien Centre d’analyses et de prospective et musèle les chercheurs ?

La France contre les cyber-dissidents

Mais c’est sur Internet que le silence est le plus assourdissant avec ce colloque. Et pour une raison très simple: il prend en défaut le président Sarkozy. Évoque-t-on les cyber-dissidents que la France n’a pas voulu aider en 2010? Et que dire surtout des techniques pour contourner les murailles numériques mises en place en Chine et en Iran. Les internautes utilisent des « proxys », des anti-filtres (appelés « filter breakers » comme U99 d’Ultrasurf, freegate ou 4shared.com) ou un réseau virtuel privé (VPN) qui leur permet de générer une nouvelle adresse IP pour leur ordinateur artificiellement créée hors de Chine ou d’Iran: ainsi relocalisés, ils peuvent naviguer de chez eux hors censure.

Or, la France n’a jamais voulu défendre ces anti-filtres et ces proxys. Elle a fait mieux: elle a vendu, et continue de commercialiser, ses technologies de filtrage et de surveillance d’Internet à des régimes dictatoriaux. La France de Nicolas Sarkozy aurait même donné son feu vert entre 2008 et 2010 à une entreprise française afin qu’elle vende des technologies de surveillance des opposants au régime du colonel Kadhafi. D’autres entreprises françaises, ou leurs filiales, coopèrent encore avec la Chine en vendant des outils techniques susceptibles de construire le « firewall » et de censurer les dissidents, avec l’accord du gouvernement français.
Aucune de ces questions n’a fait l’objet du moindre débat dans ce colloque gouvernemental sur la diplomatie d’influence alors que c’est justement là que se situe le coeur du sujet. Les cyber-dissidents y sont persona non grata.

La France recule, les Etats-Unis avancent

Le contraste est saisissant avec les positions de la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton qui s’est engagée la semaine dernière, lors de l’importante conférence « Freedom online » à La Haye, en faveur de la défense de la liberté d’Internet. Conférence qui avait été envisagée, puis interdite, rappelons-le, en 2010 à Paris, par Nicolas Sarkozy qui préférait alors lutter contre la cyber-criminalité, plutot que de défendre les cyber-dissidents.
Les activistes du Net apprécieront. Parmi eux, le blogueur Aleksei Navalny vient d’être arrêté en Russie pour avoir dénoncé la fraude électorale et l’internaute Anas al-Marawi est détenu pour avoir dénoncé le régime du dictateur criminel Bachar el-Assad.

La diplomatie culturelle sacrifiée par Alain Juppé

Enfin, il est possible de s’étonner des dépenses inconsidérées occasionnées par ce colloque (notamment par la venue de personnalités étrangères tous frais payés) au moment même où la diplomatie culturelle française est sacrifiée par Alain Juppé. Le budget des Affaires étrangères vient de faire l’objet de coupes claires comprises entre 33 % et 50 % – des pans complets de la coopération et des zones géographiques entières sont sacrifiés.

Particulièrement affectée, la diplomatie culturelle (incluant la politique universitaire, scientifique, les Instituts français et les alliances françaises) ne dispose plus aujourd’hui que d’un budget d’environ 250-300 millions d’euros par an. Et Alain Juppé choisit délibérément de sacrifier davantage le réseau culturel puisque sur les 319 emplois à supprimer au budget 2012-2013, il vient de décider d’en imputer 271 à la seule coopération culturelle – soit 85%. La crise affecte tout le monde mais seule la culture, au Quai d’Orsay, est mise à contribution.

Cette question non plus n’a pas fait l’objet d’un débat au colloque à la gloire de la diplomatie française. Celle du siècle dernier.

1 COMMENTAIRE

  1. {{Un vrai adepte de l’islamisme..
    Pourvu que les intérets de la France jacobine soient au menu..}}

    Scoop Dreuz.info :
    Alain Juppé a rencontré le chef du Hamas à Tunis
    janvier 8th, 2012

    Lorsque la politique étrangère obéit à des impératifs peu honorables, on doit s’attendre à tout.

    Monsieur « islamistes modérés » était à Tunis pour tenter de renouer des relations sérieusement écornées avec les tunisiens, apprend t-on de Webdo, une émanation web 2.0 de Tunis Hebdo.

    Webdo : « la France, qui a précipité pour la seconde fois son chef de diplomatie (note de JPG : Alain Juppé) dans les contrées tunisiennes en moins d’une année depuis la chute de Ben Ali, entend réparer ses erreurs après tant d’atermoiements et d’errements ».

    D’ailleurs, toujours selon le site d’information tunisien, le Ministre français a sérieusement courbé l’échine dans la position de demandeur, en déclarant, je cite Alain Juppé : « la France doit mériter sa place en Tunisie, qui intéresse d’autres pays et s’intéresse à d’autres que nous également ».

    Webdo : « le Coq français a perdu beaucoup de son aura sous nos cieux, ces derniers temps, aux profits de forces plus conviviales, moins autoritaires, mais surtout qui ont accueilli la Tunisie, à bras ouverts… »

    Ce qui n’a pas empêché Alain Juppé d’ajouter : {{« il faut sortir du passé – colonial – et s’inscrire dans le registre du présent dans nos relations ». }}

    Les français apprécieront cette présentation de l’histoire.

    © Jean-Patrick Grumberg pour http://www.Dreuz.info

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