Tizi-Wezzu : un ancien combattant dans la tourmente

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TIZI-OUZOU ( Tamurt) – Il est de ces hommes, même en ayant été un héros d’une guerre nationale, qui voient le désespoir et les heures sombres les envahir au couchant de leur vie. C’est bien le cas de l’ancien combattant Saïd Belaïd, connu sous le nom de guerre de « Saïd Akaoudjiou ».  

Ce pur produit de l’ALN, qui a perdu sa jambe droite en marchant sur une mine antipersonnel en pleine forêt de Mizrana en 1959 à la suite d’un violent accrochage entre une section de l’ALN et une troupe de militaires français, souffre à présent de deux autres maladies. La première est celle dite « la maladie de Parkinson » et l’autre « Alzheimer ». Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou » est à présent grabataire.

A son domicile de Timizart-Loghbar, commune de Tizi-Ouzou où nous l’avons rencontré, le vieil homme n’arrive pas à prononcer des mots avec cohérence. Il a fallu le concours de son fils pour rendre compréhensible la détresse de l’ancien combattant. Et pour faire dans le vrai, c’est toute la famille qui vit une situation infernale depuis que ces deux maladies, Parkinson et Alzheimer, ont frappé l’ancien baroudeur de l’ALN.

En effet, selon son fils, Mohamed, il faut absolument toujours quelqu’un pour le surveiller, car quand la crise le prend, l’ancien combattant « Saïd Akaoudjiou » devient violent aussi verbalement que physiquement. L’unique parade à cette situation extrême est l’administration de deux médicaments que le médecin lui a prescrits. Le premier, des comprimés à avaler, est appelé « Kietyl » et le second, des gouttes, est appelé « Sédacon ».  la difficulté réside surtout dans le fait que quand les enfants ne sont pas à la maison puisqu’ils sont obligés de travailler pour gagner leur vie, seule la vieille épouse, elle-même dans le grand besoin d’être assistée par une tierce personne, tente aussi vaillamment que désespérément à assister son mari. Il se trouve hélas, que depuis l’apparition de ces deux maladies chez le vieux patient, il y a de cela six ans environ, il arrivait des fois l’indisponibilité des deux médicaments prescrits par le médecin ou tout simplement un retard dans leur prise d’où une sorte de « démence » qui s’empare du patient. Une fois sous l’emprise de cette crise, le médecin définit comme une sorte de démence, le patient cherche à quitter la maison pour prendre une direction inconnue. Et pour le retrouver, ses enfants sont obligés de remuer ciel et terre.

Certains se poseraient la question de savoir comment un unijambiste peut marcher et surtout manifester une violence physique ? La réponse est simple : l’ancien combattant « Saïd Akaoudjiou » s’est fait faire une prothèse chez un spécialiste. Il se trouve justement que ces derniers temps où la crise de démence se manifeste chez-lui avec récurrence, les membres de sa famille la lui ont enlevée et cachée dans un endroit sûr. Mais-ce la solution au problème ? Assurément non. Cependant, la pension que perçoit l’ancien baroudeur de l’ALN, né exactement le 30 mars 1929 à Akaoudj, commune d’Aït-Aïssa-Mimoun, ne peut lui assurer les services d’une assistante sociale. L’homme rendu invalide pour la cause nationale a fait à deux reprises une demande de revalorisation de sa pension et les deux fois, c’est un refus qui lui a été signifié par l’autorité compétente. Que faut-il faire dans pareil cas ? Seul l’Etat algérien, celui-là même dont l’existence a été rendu possible par des hommes et des femmes de la trempe de Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou », peut trouver la solution idoine.

Notons enfin que dire ou écrire tout simplement que l’ancien combattant Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoujiou » a perdu sa jambe en marchant sur une mine peut cacher un nombre important de ses faits d’arme, actions qui ont fait justement sa grandeur et, par conséquent, le respect et la reconnaissance que la nation lui doit.

Un autre grand combattant de l’ALN, Mohamed Ammad en l’occurrence, aujourd’hui âgé de 93 ans, dira à propos de Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou » : « C’est un authentique membre de l’ALN ». Mohamed Ammad se souvient parfaitement du jour Saïd Belaïd a rejoint directement le maquis. C’était à la fin de l’été de l’année 1956.  « C’est au cours de la même année, ajoutera Mohamed Ammad, que je l’ai retrouvé au quartier général (QG) de l’ALN de la forêt de Mizrana, quand à mon tour j’ai rejoint directement le maquis après m’être évadé du camp de prisonniers de Tigzirt en compagnie d’un groupe de Moussebline ». Notre nonagénaire interlocuteur se souvient avoir pris la direction de Tassalast. Les militaires français, une fois alertés de l’évasion de prisonniers, ont commencé à tirer dans toutes les directions puisqu’ils n’ont pas repéré leurs cibles. Sur son passage du côté de Tassalast. En entendant les rafales de mitraillettes et en voyant le fuyard, le vieux paysan, effrayé, prendra les jambes à son cou. Ignorant le vieux paysan qui a pris la poudre d’estempette, Mohamed Ammad, en dépit d’une entorse à la cheville en tombant lors de sa course folle, poursuivra sa course en tombant directement dans un ruisseau qu’il remontera sur une assez longue distance pour tomber enfin sur un groupe de jeunes gens du village Lazaïeb, commune de Tigzzirt. En l’ayant identifié comme un homme qui cherchait à fuir l’ennemi, les jeunes gens lui ont donné de la nourriture et un burnous. Le menu était composé de la galette tendre et des beignets. En atteignant le fief des combattants, Mohamed Ammad s’adossa à un tronc de chêne, la cheville endolorie. Et voilà que passe une section de combattants. Parmi ceux-ci, il y avait un combattant, originaire du village d’Imekacherène, village presque mitoyen d’Akaoudj, qui l’a reconnu. « Et les amis, dit-il à ses camarades, cet homme, je le connais, je vais donc l’embrasser ».  La suite sera consacrée à une enquête approfondie sur Mohamed Ammad. Elle durera pas moins de cinq jours. Les services de renseignements du FLN seront particulièrement méticuleux dans leurs recherches puisque quelques temps auparavant un homme, qui s’était présenté à eux en leur faisant croire qu’il était motivé par le combat sur le terrain contre l’occupant français, leur jouera un sale tour. Dans la grotte considérée comme le QG, pas moins de 36 combattants ont péri suite au largage de bombes par l’aviation militaire française. Le traître donna un renseignement exact à l’ennemi sur le lieu de rassemblement des combattants. Et depuis, la vigilance était d’or. Quand les résultats de l’enquête furent en sa faveur, Mohamed Ammad se retrouva au QG de l’ALN. Il y trouvera Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou » et Smaïl Idir dit « Smaïl Ouguemoun ». C’est Smaïl Ouguemoun (ce Moudjahid est toujours vivant) qui, étant un homme instruit, lui remplira le dossier comme « membre de l’ALN ». Et c’est depuis ce mois de mai 1956, plus exactement juste quelques jour après l’Aïd El Fitr que Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou » et Mohamed Ammad sont devenus compagnons d’armes. Ils participeront ensemble à plusieurs opérations militaires contre l’ennemi. Et ils échapperont ensemble aussi à une souricière qui leur a été tendue par les militaires français, suite probablement à une dénonciation, dans le maquis d’Ighil-Bouchène (commune d’Aït-Aïssa-Mimoun). En ce funeste jour de l’année 1959 où les combats sont de plus en plus violents et récurrents, Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou », en compagnie d’une trentaine d’autres vaillants combattants de l’ALN, en route pour une mission aux abords du lieudit « Sidhi M’hand Saâdhi » marcha sur une mine antipersonnel qi lui arracha complètement le pied. L’abandonner sur place à cause du déluge de feu de l’ennemi qui s’est abattu sur eux ? « Pas question ! », s’élevèrent plusieurs voix au même temps. Deux combattants s’altèrent en le portant sur leur dos jusqu’au refuge, un endroit sûr. L’infirmier de l’ALN, Si Omar, (infirmier qui faisait aussi office de médecin) lui coupa le pied, juste à quelques centimètres au-dessus de la cheville. Nous pensons qu’il est inutile de noter les détails de l’opération chirurgicale. C’était très dur. Quelques temps plus tard, le blessé, encore en convalescence, fut surpris par les militaires français dans les lieux mêmes qui servaient d’infirmerie pour l’ALN. C’était suite à un accrochage particulièrement long et sanglant. Une fois entre leurs mains, les militaires français l’emmenèrent dans un de leurs hôpitaux où la prise en charge médicale était plus importante. Les chirurgiens ont vite déduit que pour éviter la gangrène, il fallait amputer encore la jambe à partir du milieu du tibia, c’est-à-dire au niveau d’une partie supérieure de celle où été pratiquée la première amputation.  Après la guérison, Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou » quitta l’hôpital pour la prison. En 1961, les autorités coloniales, convaincues de son incapacité à reprendre le maquis, le relâchèrent. Les services de renseignement de l’armée ont même eu l’idée que la remise en liberté de leur prisonnier pouvait peut-être leur permettre l’identification et la capture d’autres combattants dans leur stratégie, les militaires français ont pensé qu’à sa sortie de prison, Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou » ne pouvait que bénéficier chez-lui de la visite de ses anciens compagnons d’armes. Il se trouve que les services psychologiques de l’ALN n’ont pas manqué non plus d’intelligence. Ils savaient que la maison de leur ancien compagnon de combat allait être étroitement surveillée par l’ennemi. Autrement dit, les militaires français n’ont pas obtenu les résultats qu’ils ont probablement peu espérés.

A l’indépendance du pays, Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou » bénéficia d’une pension en sa qualité de Moudjahid handicapé de guerre. Avec le temps, le mal de sa jambe se manifesta à nouveau. Les médecins ont été obligés de l’amputer cette fois là juste en dessous du genou pour éviter cette maudite gangrène. Opération réussie. Cependant, avec le poids des ans, Saïd Belaïd dit « Saïd Akaoudjiou » tomba victime de ces deux maladies, Parkinson et Alzheimer. Et cette fois-ci, il a plus que jamais besoin d’une tierce personne .

De notre bureau, Saïd Tissegouine

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