Lyazid Abid pour Tamurt info : « Pour libérer Boualem Sansal, il faudrait plus que la pression internationale »

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Boualem Sansal entre feu Dr Belkacem Ahmed-Ouamar dit Aggur et Lyazid Abid
Boualem Sansal entre feu Dr Belkacem Ahmed-Ouamar dit Aggur et Lyazid Abid

INTERVIEW (TAMURT) – Le président de l’URK, Lyazid Abid, n’est pas optimiste quant à une éventuelle libération de l’écrivain Boualem Sansal, arrêté, le 16 novembre dernier, à Alger. Il dit que les décideurs algériens arrivent à contourner la pression internationale. Lyazid Abid, lui aussi exilé en Allemagne et condamné plusieurs fois à la perpétuité par le régime d’Alger, exactement pour les mêmes motifs que son ami Boualem Sansal, ne perd pas espoir de voir la junte militaire d’Alger s’effondrer comme celui de Bachar al Assad. Une forte éventualité, estime-t-il.

– M. Abid, l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal a provoqué de vives réactions en Kabylie, mais aussi au sein de la classe politique française. Pensez-vous que le régime algérien finira par céder à la pression internationale et le libérer ?

Lyazid Abid : La classe politique et les intellectuels des deux rives de la Méditerranée et d’ailleurs qui se sont indignés de l’arrestation de Boualem Sansal par le pourvoir algérien font honneur à leurs peuples réciproques. Ils honorent la liberté et s’émancipent des consciences prisonnières de l’opportunisme politique.
La pression internationale, comme son nom l’indique demeure une « pression ». Le pouvoir algérien en a connu des plus pesantes. Il finit toujours par les contourner.
Le régime algérien cédera, le jour où il trouvera plus fort que lui. Il ne faut pas oublier que c’est un régime qui a accédé au pouvoir par la violence, il y a plus de 60 ans. Il a eu, depuis, plusieurs opportunités pour évoluer vers la démocratie : le 20 avril 1980 avec le printemps amazigh, le 5 octobre 1988, en 1992 après les législatives, en 2001 avec le soulèvement des aarchs en Kabylie, mais à chaque rendez-vous avec l’histoire, les décideurs, c’est-à-dire l’armée, recours à la violence pour réprimer le peuple et emprisonner ses élites. Le partage de la rente et le recours à la violence est l’axe commun qui fait l’unanimité absolue des décideurs algériens.

Cette emprise sur le pouvoir a fait et continue à faire des ravages. Le pouvoir algérien ne croit qu’en ce qui le renforce dans son délire. Il combat férocement toute initiative, qui à court ou long terme, le priverait de la rente. Il est arrivé jusqu’à engager une chasse contre le savoir. Il s’incline devant les islamistes, qu’il avait qualifiés, par agitation de l’histoire, de terroristes et les invite discrètement à intégrer voire prendre le pouvoir. Les vrais ennemis de l’Algérie, sont par conséquent, les Kabyles, les démocrates laïcs et tous ceux qui osent remettre en cause les fondamentaux et les frontières de l’Algérie.

C’est dans ce contexte sulfureux que l’écrivain, Boualem Sansal, intervient. Sa plume réveille tous les démons et invite tout le monde à s’asseoir autour d’une même table, à se parler, à débattre, sans tabous, jusqu’à trouver des solutions.

Ce que Boualem fait, dit et écrit me comble d’espoir. Franchement, je crains que la pression internationale ne suffise pour le libérer. Les dirigeants français et d’autres pays doivent user d’autres moyens pour libérer tous les prisonniers politiques et tous les peuples d’Algérie qui se retrouvent enfermés dans une prison à ciel ouvert appelée Algérie.

– Vous êtes un des amis proches de Sansal, qui vit aussi en Algérie, a-t-il déjà exprimé des craintes concernant son éventuelle arrestation ou représailles du régime algérien ?

Pendant longtemps, Sansal se croyait protégé par sa notoriété. Il pensait que l’exploitation que faisait le régime de sa sécurité et de sa liberté lui assurait sa tranquillité et la libre circulation. En effet, l’exemple Sansal, évoqué devant les chancelleries occidentales, suffisait à calmer les esprits quant au respect de l’Algérie des droits humains. C’était ainsi, jusqu’au jour de son arrestation, le 16 novembre 2024. Donc Boualem se savait sur le fil du rasseoir. Il se savait aussi temporairement toléré, dans son propre pays.

– Il n’y a pas que le régime algérien qui fait des reproches à Boualem Sansal. Une partie de l’opinion publique en Algérie l’accuse de rouler pour des lobbies sionistes et israéliens. Qu’en-il vraiment ?

L’avis des réactionnaires algériens et de ceux qui profitent de la rente un peu partout dans le monde, ne mérite pas une quelconque analyse. Ce qui me désole, c’est plutôt ceux qui condamnent avec des oui mais et ou le mais l’emporte à la fin.
Ceux-là, reprochent à Sansal de ne pas être habilité à parler de l’histoire.
D’un point de vue générale, on sait que les écrivains construisent leurs œuvres romanesques sur des faits historiques et les prolongent dans le temps et l’espace. S’il fallait interdire ces auteurs, aucun livre de littérature ne verrait le jour. Dans le cas de Sansal, ça se complique, car il est militant des droits humains, écrivain à succès, philosophe admiré et courageux. De tous les historiens et politicards algériens, Boualem est le seul qui dit la vérité historique par rapport à l’appartenance historique des territoires de l’Ouest algérien.
Nous, les Kabyles, connaissons un bout de l’histoire par rapport à ce sujet. Tout le monde se raconte la mise en garde des Kabyles à l’Emir Abdelkader qu’ils accueilleraient avec le couscous noir (comprendre les chevrotines), s’il recourait à la force pour obliger la Kabylie à se rallier militairement à sa résistance contre la France. Au fait, le refus des Kabyles de s’aligner avec Abdelkader n’était pas dû à une quelconque sympathie qu’ils nourrissaient envers la France, mais à la douteuse coopération militaire que l’Emir proposa soudainement à la Kabylie, alors que son père, Muhyi Al-Din-Al-Hasani, sujet du Roi du Maroc, ne cessait auparavant de menacer la Kabylie pour son refus de payer l’impôt aux Ottomans.

L’Ouest algérien était effectivement marocain. Abdelkader et son père, qui guerroyer pour la Ouma, ne décidaient de rien sans le consentement explicite ou implicite du Royaume du Maroc. L’amalgame ou la brouille relatifs à cette région pendant la présence ottomane est probablement dû à la volonté du Royaume du Maroc de faire de ce territoire une zone tampon, à la politique flottante, entre les Ottomans et le royaume du Maroc, dans le but de freiner la progression de l’ennemi vers l’Ouest de l’Afrique du Nord.

Certains intellectuels algériens, pour noyer le poisson, suggère que l’écrivain fait dans la provocation. À ceux-là, Sansal dit : “la provocation est une attitude débile et indigne d’un écrivain”.
Sansal, ne s’accommode pare ceux que les autres pensent de lui ou de ses propos. Il n’écrit pas pour plaire. Il sait qu’il dit vrai. Il sait qu’il ne parle pas de sujets qu’il ne maîtrise pas.
Au pouvoir algérien, il dit la vérité sur ses frontières ouest. Il leur dit aussi que le bateau dont vous êtes embarqué navigue à vue. Il chavire et va bientôt sombrer. Il dit aux Français qui préconisent l’expulsion des sans-papiers qu’ils feraient mieux de les accueillir avec des médailles en guise de bienvenu.

Voilà à mon sens, un humaniste, qui entend le cri de détresse de ses semblables. Il est synonyme de l’hyperempathie. Ceux qui l’ont approché connaissent sa sensibilité, sa disposition à venir au secours des causes justes, à être l’ami, le compagnon de la liberté sur lequel on peut compter sans se retourner. Sansal est un homme blindé, comblé. La prison, la torture, la soif, la faim, la fortune, l’isolement, les idées, rien ne lui fait peur. Il sait que la liberté, les causes justes, la dignité et l’honneur sont des valeurs inatteignables par les dictateurs.

– Boualem Sensal soutient l’indépendance de la Kabylie. Vous ne pensez pas que c’est aussi l’une des raisons de son arrestation par le régime algérien ?

La rectitude intellectuelle, le courage de soutenir les causes justes, comme celle de la Kabylie pour son droit à l’autodétermination, évoquer la vérité historique sans provocation et sans se soucier des « que va-t’on dire », sont une attitude qui irrite les autorités algériennes.
Boualem est prévenant. Il est l’ami de toutes les causes justes de par le monde. Il souhaite l’autonomie, l’Indépendance à tous les peuples du monde qui aspirent à ces statuts. Pour lui, la quête de la vérité et la liberté sont sacrées.
Son soutien à la Kabylie est évident. Aujourd’hui, la Kabylie est de tout cœur avec lui. Nous condamnons fermement son arrestation. Malgré lui, il est devenu le symbole de tous les prisonniers d’opinion et de tous ceux qui militent pour la liberté et la démocratie. Boualem Sansal est à la littérature ce que Lounès Matoub est à la chanson kabyle.

Je profite de cette interview pour demander votre avis sur la chute de Damas…

Il y a 14 ans, précisément, le 25 février 2012, j’ai écrit une lettre ouverte à Madame Clinton, en visite à Alger, ci-après un passage pour répondre à votre question :
“Le régime algérien est identique au régime que vous condamnez actuellement en Syrie. Ils ont la même source idéologique et utilisent tous les deux la violence militaire pour se maintenir au pouvoir. L’anti-occidentalisme est le fond de commerce des deux systèmes. L’occident et Israël sont dénoncés dans un délire qui rivalise de haine avec celui des islamistes sur ce sujet.
Après la Tunisie, la Libye, l’Egypte, demain la Syrie, nous espérons que toutes les dictatures qui continuent à sévir de par le monde chutent à leur tour.
Nous savons que le monde décolonisé il y a environ 50 ans regorge de cruels dictateurs”.

Aujourd’hui, 14 décembre 2024, j’ajouterai ceci : la chute de l’Algérie est imminente. Je l’espère sans effusion de sang. La Kabylie s’éveille des ténèbres de l’histoire. Elle se dirige sereinement vers une existence parmi les nations en étant consciente du retard accumulé à rattraper. Nous les Kabyles, avons intérêt à nous organiser de manière conséquente, pour ne pas rater cette précieuse opportunité.
Sansal et tous les opprimés y trouveront, chez nous, en terre kabyle, un accueil chaleureux et bienveillant.

Propos recueillis par Idir Yatafen

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