Patrimoine littéraire kabyle : après le séquestre, la mise à sac

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fichier berbère

TIZI-OUZOU (Tamurt) – Le Fichier de Documentation Berbère (FDB) a été une publication fondée par la Société des Pères Blancs fondée elle-même en 1868 à Maison-Carrée (El Harrach) par Mgr Lavigerie. De 1946 à 1972, le FDB a publié et diffusé par abonnement des fascicules de haute facture en langue kabyle. C’est une source livresque unique par le volume et la diversité des thèmes consacrés à la nation kabyle.

En 1972, ce Fichier est banni de Kabylie et contraint de changer de nom pour devenir Fichier périodique. En 1974 ; les Pères Blancs font eux-mêmes l’objet d’une expulsion définitive de Kabylie et contraints, en 1976 de cesser leurs activités relatives au berbère et à la société kabyle jugées attentatoires à on ne sait quelle harmonie algérienne.

Ainsi, à la suite de son mentor Ben Bella qui a décrété qu’en Algérie il n’y a que des Arabes, le racisme hargneux de Boukherouba l’a poussé à vouloir éradiquer le mot même de berbère. Depuis, le fonds documentaire du FDB est mis sous séquestre par ce même colonel Boumediène qui, à défaut d’avoir fait la guerre à la France coloniale se rattrape dans une guerre contre la Kabylie.

Ce fonds documentaire était entreposé à Waγzen (Michelet), Larvεa n At Yiraten et Lavigerie (El Harrach). À Michelet, les centaines de volumes étaient enfermés dans une pièce relevant de la mairie. En 1995, ladite pièce a subi une effraction et les ouvrages disparus. Quelque temps plus tard, on apprend que Abdenour Abdeslam, le président du Bureau régional du RCD et Ould Ali Lhadi, le président de l’Association Si Muḥend u Mḥend ont éparpillé qui à ses amis, qui à ses ouailles du secteur associatif, des dizaines et dizaines de volumes de ce précieux patrimoine littéraire sans équivalent. La générosité dispendieuse de ces aigrefins n’a pu se faire sans l’aval du RCD, leur parti. Mais bien plus grave, ce précieux fonds documentaire a servi de grenier pour des actes de piraterie intellectuelle directe de la part d’individus sans scrupules qui se sont tout simplement appropriés certains ouvrages pour les éditer en leur nom. Indignité. Grave viol à l’endroit de chercheurs désintéressés qui ont mis des années à élaborer leurs projets. Grave irrévérence à tous ceux qui, Pères Blancs ou intellectuels kabyles, ont donné avec abnégation de leur temps, de leur énergie et de leurs connaissances pour fonder et léguer à la Kabylie un patrimoine littéraire précieux qui a servi de base à maints chercheurs pour la poursuite de la fondation d’une littérature kabyle multidisciplinaire.

Aujourd’hui, le Premier ministre Sellal qui vient d’organiser un carnaval pour montrer un soi disant intérêt à protéger la propriété artistique et intellectuelle a dans son cabinet un dilapidateur de la culture en la personne d’Ould Ali Lhadi. C’est dire tout le crédit accordé au secteur de la culture par le gouvernement. La dissipation organisée du Fichier de Documentation Berbère doit être dénoncée et les responsables doivent rendre des comptes d’abord aux propriétaires moraux de ce patrimoine puis à la Kabylie qu’on a sciemment spoliée. Sont interpellés aussi :

– Le Haut-commissariat à l’Amazighité (HCA) en tant qu’institution censée prendre en charge la protection et la promotion de l’amazighité ;

– Le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie en tant que responsable moral des agissements de ses cadres ;

– Le Ministre de la Culture ;

– La Direction de la culture de Tizi-Ouzou ;

– La Ligue algérienne des Droits de l’Homme ;

– Le Congrès Mondial Amazigh ;

– Les partis politiques ;

– La Congrégation des Pères Blancs, Maison provinciale, 5, rue Roger Verlomme, Paris IIIè ;

– Le Premier ministre Sellal ;

– Le Président de la République ;

– L’Unesco ;

– L’Union africaine.

Ce patrimoine laborieusement créé durant 90 ans a été légué de bonne grâce par ses propriétaires à la Kabylie. Notre patrie ne saura jamais assez les en remercier. Notre peuple, le peuple kabyle, victime d’envahissements ininterrompus depuis des millénaires, n’a été à aucun moment de son histoire en capacité de construire son propre état, d’ensemencer ses propres fondements et de prendre part à l’histoire en nom propre. Par contre, il a donné à toutes les civilisations du pourtour méditerranéen d’éminents savants dont certains sont à nos jours des références universelles dans leur domaine. Nelson Mandela a été enfermé pendant 26 ans mais il a fini par être libéré. Le FDB, lui, reste séquestré depuis 40 ans. Durant tout ce temps, de Belkacem Chérif, le ministre de l’éducation et de l’information de Boumediène en juin 1965 jusqu’à Azedine Mihoubi, le ministre de la culture de Sellal IV depuis le 14 mai 2015, il n’est arrivé à personne l’idée de libérer enfin ce plus vieux prisonnier du monde aussi inoffensif qu’un mouton sauf pour les cervelles torturées de haine des dirigeants algériens.

Il est évident que le Gouvernement algérien est le premier responsable de cette indignité à nulle part ailleurs. En plus de sa volonté manifeste d’éradiquer la langue, la culture, l’histoire de la nation kabyle, il use jusqu’à la nausée de cynisme comme le montre la grossière manifestation de l’Onda patronnée par le Premier ministre le 26 mai dernier. Depuis quelques jours, des rencontres informelles de militants se tiennent pour lancer une opération de sauvegarde du patrimoine immatériel de la Kabylie. Cette entreprise de conservation et de réappropriation concerne le FDB mais aussi le patrimoine chanté, pillé impudemment par certains chanteurs qui n’ont jamais fait mention de la source des œuvres dans leur répertoire. Un observatoire puis un comité de sauvetage du patrimoine immatériel sont les buts que se fixe cette mobilisation citoyenne de Kabylie. D’ores et déjà, les initiateurs de cette entreprise s’imposent une démarche stricte de neutralité et de transparence dans l’élaboration de l’inventaire général des spoliations patrimoniales et s’engagent à rendre publiques les résultats de leurs travaux.

Tizi-Ouzou, le 4 juin 2016

Un groupe de patriotes de plusieurs cantons de Kabylie.

1 COMMENTAIRE

  1. C’est une contribution qui apporte des faits nouveaux intéressants. Il serait bien de faire appel à tous les citoyens, associations, organisations et structures kabyles de scanner les documents en leur possession et de les envoyer à la rédaction de Tamurt.info afin d’archiver une copie électronique.

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