Le discours du président Obama de vendredi passé corrige celui prononcé en juin 2009 au Caire. Il y a deux ans, le président des États-Unis s’adressait à un “monde musulman” désincarné et compact, politiquement homogène et donc confus.
“Faute d’avoir précisé la cible de son discours, le vocable ‘monde musulman’ assimile Ben Laden à ses victimes musulmanes, nombreuses, et nos rois et présidents despotes à leurs opposants”, écrivions-nous dans cette rubrique (Contrechamp du 12/10/2009).
Du coup, toutes les bonnes intentions étalées devant les jeunes Égyptiens restèrent sans écho parce que sans but identifié.
C’est l’action de ces mêmes jeunes Égyptiens, entre autres, qui, depuis quelques mois, donne un sens au discours d’Obama, après l’avoir forcé à le reformuler. Deux ans de pratique politique et six mois de mouvements révolutionnaires ont fait plus d’effet sur la perception américaine du “Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord”, qu’un demi-siècle de diplomatie arabe. Les révoltes démocratiques de générations de jeunes désarmés, conjurés grâce à la seule arme d’Internet et à la seule force du désir de liberté, ont transformé le vendredi, jusqu’ici identifié à des scènes de procession de colonnes hirsutes et tonitruantes, en jour de chants de liberté. Chacun est replacé dans son rôle : l’islamiste qui ne connaît que le langage du sang, le citoyen qui découvre le potentiel révolutionnaire de sa conviction et le dictateur inaccessible à l’idée de liberté.
Obama découvre qu’en Afrique du Nord et au Moyen-Orient comme ailleurs, ce sont les contradictions d’une société qui lui impriment son mouvement, et veut partager avec l’opinion américaine son nouveau credo : “Aux yeux du peuple des États-Unis, dit-il, les scènes de soulèvement dans la région peuvent paraître troublantes, mais les forces qui les entraînent ne lui sont pas étrangères. (…) Je ne serais pas ici devant vous aujourd’hui si les générations passées ne s’étaient pas tournées vers la force morale de la non-violence comme moyen de parfaire notre union — s’organisant, manifestant, protestant pacifiquement et ensemble afin de donner corps aux paroles qui ont façonné notre nation : nous tenons ces vérités pour évidentes en soi, que tous les hommes naissent égaux.”
“Ces mots doivent guider notre réaction aux changements qui transforment le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, ces mots qui nous disent que la répression échouera, que les tyrans tomberont et que tout homme et toute femme sont dotés de certains droits inaliénables”. C’est donc l’universalité de l’aspiration au droit et de l’aspiration à la liberté qu’enfin, et pour la première fois, nous reconnaît franchement un chef d’État de puissance occidentale. Pas assez franchement, puisqu’Obama n’évoque que les despotes des pays où la révolte a atteint un point de non-retour.
Il n’y a pas longtemps, Sarkozy, avant de se convertir à la virtualité d’une évolution politique autonome en Côte-d’Ivoire et en Libye, par exemple, disait des Africains qu’ils n’étaient pas “entrés dans l’Histoire”. De la même manière, Obama semble hésiter à admettre que des sociétés comme l’Arabie Saoudite ou le Bahreïn aient vocation à “entrer dans l’Histoire”. Finalement, le mérite de cette “révolution arabe”, c’est que loin d’être suscitée, c’est elle qui a suscité une révolution d’attitude dans des opinions qui nous vouaient, culturellement, à assumer un sous-développement politique.
M. H.
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