Un trouble déni d'algérianité "Mouloud Mammeri ou la seconde mort du Juste"

5
597
Mouloud Mammeri
Mouloud Mammeri

Ce déni de la nationalité algérienne à celui qui a été – et reste par le courage et la qualité de son œuvre – un prestigieux nom de la littérature contemporaine et de la recherche universitaire en anthropologie et en linguistique berbères n’est pas en soi nouveau.

Faut-il inscrire cette énième foucade au registre d’une haine récurrente, aux mécanismes suffisamment huilés, pour être spontanément reproductible dans les palabres d’estaminets de l’Algérie profonde ? Le grief kabyle — sordidement réactivé par Benaïcha — et le doute sur son algérianité ont toujours été convoqués à charge contre Mammeri de son vivant. La défiance qu’a connue — et subie — Mouloud Mammeri, inexplicablement et durablement agie dans le champ littéraire et dans le champ politique, est inséparable de la complexe formation d’une littérature nationale dans la dernière décennie de l’occupation française de l’Algérie et du débat sur l’histoire littéraire de l’Algérie qui a été, dès l’indépendance, confisqué par des sycophantes et des âniers.

Le vieux «mythe kabyle»

Fut-elle ancienne et enracinée cette rage à pourfendre Mouloud Mammeri ? La suspicion a été nourrie assez tôt — en 1953 — contre le romancier de La Colline oubliée (Paris, Plon, 1952) dans un procès instruit dans les colonnes du «Jeune Musulman», publication de la jeunesse de l’association des Oulémas musulmans d’Algérie dirigée par Ahmed Taleb (signant Ibn El-Hakim).

A l’origine de cette querelle, il y a une profonde méprise, sur fond d’ignorance et de désinformation, volontairement entretenue. Il est vrai que l’œuvre de Mammeri — qui a été créditée aux prix littéraires de l’automne 1952 de deux voix au Fémina, remporté par Dominique Rolin ( Le Souffle, Paris, Seuil) et d’un vote au Goncourt qui a consacré Béatrice Beck ( Léon Morin, prêtre, Paris, Gallimard) — a été nominée par les membres de l’académie des Quatre jurys, créée par le patron de L’Écho d’Alger et cacique des assemblées coloniales Alain de Sérigny. Ce prix littéraire — qui n’était pas perçu comme une distinction coloniale — avait pour objectif de récompenser un auteur cité dans un des quatre grands prix littéraires parisiens (Goncourt, Renaudot, Fémina, Interallié). Ravivant le souvenir d’André Gide, les membres de l’académie des Quatre Jurys tiennent leur première réunion à Biskra, le 26 janvier 1953, et attribuent à l’unanimité leur prix à La Colline oubliée, premier roman d’un jeune professeur de lettres françaises, encore inconnu dans le milieu littéraire d’Alger. Mouloud Mammeri ne se prête pas à qu’il pensait être une mystification politico-littéraire coloniale et refuse de se rendre à Biskra, le 30 janvier, pour y recevoir le prix des Quatre jurys. Bien des années après, il s’en explique auprès de Mohamed-Salah Dembri : «Il eut été aberrant que par le biais d’un prix quelconque on donnât à mon œuvre le sens exactement contraire de celui que je voulais lui donner.» ( An Nasr, 4-11 mai 1968). Cependant, la polémique suscitée par le roman, et plus particulièrement par sa remarquable réception critique dans la presse parisienne et coloniale, se greffera vite sur cet événement. Dans «La Colline du reniement», article publié dans le numéro 12 du 2 janvier 1953 du «Jeune Musulman», Mohand Chérif Sahli prévenait sentencieusement Mammeri sur les bruits qui assourdissent son œuvre, le menaçant même du terrible châtiment de «l’indignité nationale». S’il amende les Kabyles de toute traîtrise envers la cause nationale en les situant à «l’avant-garde du mouvement national », Sahli ne veut être comptable, dans une étroite perspective intellectuelle jdanoviste, que de l’engagement politique de l’écrivain et de son œuvre. Trouvant suspect l’accueil critique unanime fait, en France et en Algérie, à La Colline oubliée, qu’il qualifie d’«exploit étonnant», le chroniqueur du «Jeune Musulman » — qui vitupère «la théorie de l’art pour l’art» — pose à l’auteur la question essentielle : «Une œuvre signée par un Algérien ne peut donc nous intéresser que d’un seul point de vue : quelle cause sert-elle ? Quelle est sa position dans la lutte qui oppose le mouvement national au colonialisme ?» Mais l’adresse de Sahli n’évite pas la rumeur oblique, la méconnaissance de la vie littéraire de la colonie et de l’actualité de ses auteurs indigènes, qui renvoie la consécration critique de l’œuvre de Mammeri à la protection d’«un maréchal de France qui s’y connaît fort bien en goumiers». En vérité, cet auteur parrainé par le maréchal Juin est Taïeb Djemeri, Algérien né au Maroc et exerçant la pharmacie en France, auteur d’un roman La Course à l’étoile (Paris, Éditions du Dauphin, 1952). Ce mensonge ne gênera pas Sahli et encore moins ceux qui le reprendront à sa suite. La charge la plus construite contre le romancier ne viendra-t-elle pas de Mostefa Lacheraf ? Dans «La Colline oubliée ou Les Consciences anachroniques» (Le Jeune Musulman, n° 15, 13 février 1953), Lacheraf rebondit sur une incrimination du fait berbère (et kabyle) dans une démarche opératoire, qui contrairement à celle de Sahli qui ne s’intéresse qu’à la finalité du roman algérien dans le combat nationaliste, prétend s’appuyer sur la lecture raisonnée de l’œuvre. Lacheraf incrimine directement le fait berbère, survivance acrimonieuse de la «crise berbère» de 1949, et reproche à Mammeri son amour de la «petite patrie». L’accusation est précise : «Il nous déplaît de constater que […] pas un seul critique littéraire n’a qualifié M. Mammeri d’auteur algérien. On l’a toujours appelé, vraisemblablement sur sa demande : romancier berbère. L’Algérie serait-elle aussi une patrie oubliée ?» Accusation sans fondement et injuste : dans les maisons d’édition — où on est aussi commerçant —, le «prière d’insérer » en «quatrième de couverture», sur lequel se basent souvent les chroniqueurs littéraires pour portraiturer un écrivain, relève des attachés de presse et non des auteurs. Il est souvent un argument de vente qui permet à l’éditeur un retour sur investissement. Dans son entreprise de destruction d’un jeune romancier de La Colline oubliée, Lacheraf aiguisera son argumentaire sur deux plans : le culturel et le littéraire. 1° | Dans un développement culturel — ou plutôt cultuel —, Lacheraf ne signale la berbérité que pour la naturaliser consciencieusement dans une sorte de destinée arabo-musulmane, la mission la plus légitime qu’il lui concède. Ce sont, soutient-il, les Berbères qui ont ramené à la stricte orthodoxie musulmane les Hilaliens — impies — et ce sont les Kabyles zouaouas qui descendaient «en pays dit arabe» enseigner la gnose islamique ; et c’est bien chez eux que se rendait la jeunesse studieuse des confins sahariens pour apprendre les rudiments de la langue arabe classique. Cette lecture du monde berbère épuise certainement le fonds culturel tamazight, trop impétueusement assimilé à la langue et à la liturgie arabo-musulmane. De ce point de vue, une description différente de la montagne kabyle par l’auteur de La Colline oubliée est grosse d’hérésie. 2° | S’il reconnaît l’existence d’une littérature régionale en France — «genre régionaliste breton, cévenol, provençal» —, Lacheraf en minore le statut littéraire («genre mineur») et la confine à une utilité documentaire. Cela n’est pas vérifiable : à cette période de l’histoire littéraire de la France, la tradition provinciale et régionaliste — de Jean Giono à Henri Pourrat, d’André Chamson à Ernest Pérochon, de Marcel Pagnol à Henri Bosco — informe, en partie, la structure du champ littéraire parisien et des trajectoires d’auteurs en compétition.

L’Algérie étant, en 1952, une région de la France, il est incontestable que l’éditeur Plon a projeté «l’écrivain kabyle» Mammeri dans cette perspective littéraire régionale qui n’était pas encore discréditée, quitte à rectifier le tir dans la «quatrième de couverture» du second opus Le Sommeil du juste (1955) dans lequel Mammeri est expressément présenté comme «écrivain français», mention soulignée par le caractère italique. Sous le prétexte du régionalisme littéraire, Lacheraf hâte la disqualification de l’œuvre de Mammeri : «Le roman de M. Mammeri est-il un document ? Il ne mérite pas cette qualification pour sa “subjectivité” même, son absence de chaleur humaine. Tout y est sporadique, fragmentaire, souvent étriqué, à l’image même de cette conscience des individualistes et des isolés qui ne se réalise jamais sans trahir les siens.» Un massacre en règle d’un premier roman et de son auteur (posément réédité avec Mourad Bourboune dans un entretien donné aux Temps modernes, octobre 1963), au seul principe d’un idéal politique — national — de la littérature et du littéraire ? Auparavant Mouloud Mammeri aura répondu à Mohand Cherif Sahli («Le Jeune Musulman », n° 14, 30 janvier 1953), mais sans convaincre. Dans sa brève réplique à Mammeri, Sahli persiste et renvoie l’auteur et son œuvre à un «succès douteux». Entre-temps, la rumeur aura enflé. Dans son introduction à l’article de Lacheraf — probablement écrite par son rédacteur en chef Ahmed Taleb —, la rédaction du «Jeune Musulman» instille l’ambiguïté sur la position de Mammeri à propos de La Colline oubliée: «Un roman algérien sur des réalités algériennes, un roman qui comme tel ne peut donc servir que la cause algérienne. » Déniait-on déjà une spécificité algérienne à l’auteur et à son œuvre ? Mouloud Mammeri, l’amoureux de la «petite patrie», est résolument campé. Cela restera. Revenant, dans un entretien avec Tahar Djaout, sur cet épisode (fut-il pour lui éprouvant et douloureux ?), Mammeri précisera son éthique de l’écriture littéraire et de ses usages sociétaux au moment de la maturation de La Colline oubliée : «Le véritable engagement consistait à présenter cette société telle qu’elle était dans la réalité et non pas telle que l’aurait reconstruite un choix de héros dits positifs ou retraduite en discours idéologique, c’est-à-dire un mythe.» (Mouloud Mammeri, entretien avec Tahar Djaout suivi de La Cité du soleil, Alger, Laphomic, 1987). Deux doctrines du réalisme littéraire, deux rapports à la littérature et à sa prescription sociale, inconciliables dans leur principe, qui restituent amplement les arrière-pensées de la polémique de 1953. Cependant la guerre d’indépendance ne tarde plus.

Mammeri y aura une présence d’une grande clarté, démentant tous les procès d’intention autour de sa personne et de son œuvre d’écrivain. Sous le nom de guerre de Brahim Bouakkaz, il signe plusieurs articles — confortant le combat libérateur des Algériens regroupés autour du FLN et de l’ALN — dans L’Effort algérien, organe des libéraux algériens ; ce qui n’était pas une tare, car le FLN des années 1950 n’était pas la chapelle qu’il est devenu en 1962, mais un front intégrant musulmans, juifs, chrétiens, athées et un large éventail de tendances politiques : nationalistes PPA-MTLD, salafistes AOMA, communistes et libéraux. Mouloud Mammeri participe, aux côtés de M’hamed Yazid, à la rédaction et la mise en forme du dossier que présente le FLN à la 11e session de l’assemblée générale de l’ONU, en 1957. Recherché par la police coloniale, il est contraint de quitter précipitamment l’Algérie pour le Maroc où sa famille possède des attaches. Il reviendra à cet auteur que l’on soupçonnait d’être proche du colonialisme et tiède envers la cause nationale de présenter la description la plus pertinente et la plus achevée du monde colonial : «Les hommes tarissent — parce que pas un des sentiments qui accompagnent immanquablement le système colonial n’est un sentiment exaltant ; ils se situent tous dans la région la plus basse, la plus négative, la plus laide de l’homme. Les hommes qui fleurissent en régime colonial, ce sont les combinards, les traficoteurs, les renégats, les élus préfabriqués, les idiots du village, les médiocres, les ambitieux sans envergure, les quémandeurs de bureau de tabac, les indicateurs de police, les maquereaux tristes, les tristes cœurs. Il ne peut y avoir en régime colonial ni saint ni héros, pas même le modeste talent, parce que le colonialisme ne libère pas, il contraint ; il n’élève pas, il opprime ; il n’exalte pas, il désespère ou stérilise ; il ne fait pas communier, il divise, il isole, il emmure chaque homme dans une solitude sans espoir.» (Lettre à un Français, Entretiens sur les Lettres et les Arts [Rodez], n° spécial Algérie, février 1957).

En 1962, quand beaucoup d’écrivains de sa génération se tâtaient et répugnaient à rejoindre le pays nouveau, Mouloud Mammeri est sur le terrain. De la littérature à l’université, de l’écriture à la recherche, dans la semblable probité et rigueur intellectuelle qui étaient celles de l’auteur de La Colline oubliée. Pour rappel, la même année de publication de ce roman, en 1952, Mohammed Dib commençait avec La Grande Maison (Paris, Seuil) une trilogie romanesque qui a pour cadre Tlemcen et les hauteurs du pays tlemcénien. Certes, un respectable roman de terroir — où monte le chant d’une autre «petite patrie» — que n’assombrissaient ni le vieux «mythe kabyle» ni les retombées encore vives de l’imparable et sécant drame politique qui cisaillait le PPA-MTLD en 1949.

«L’arme redoutable de la stigmatisation»

A l’indépendance, Mammeri, de retour à Alger, écrit pour le cinéma (avec notamment Jean-Marie Boeglin et Ahmed Rachedi), s’essaie au théâtre et surtout met en chantier son émouvant hymne à la Révolution L’Opium et le bâton, indépassable roman sur la guerre d’indépendance que son éditeur publie en 1966. Avec Jean Sénac, le tout premier à en avoir conçu l’idée, Kaddour M’hamsadji, Mourad Bourboune et bien d’autres écrivains — même Jean Pélégri avait souhaité y être associé —, Mouloud Mammeri contribue, dans l’âpreté des débats, à la fondation de l’Union des écrivains algériens qui ne rassemblera pas tous les suffrages, méchamment raillée par Kateb Yacine — qui acceptera nolens volens d’être membre de son bureau exécutif. Dans un pays qui a décrété l’unicité en toutes choses, l’UEA voguera sur des mers démontées et ne parviendra jamais à quai. Elle vaudra à Mammeri, qui en assurera — après Sénac — le secrétariat général, ses premiers désagréments dans le pays indépendant et libre. Comme en 1953, il y a l’indéracinable procès d’intention aux motivations politiques. La polémique qui se développe dans les colonnes de l’hebdomadaire du parti FLN Révolution africaine se fonde sur l’attitude réservée de l’UEA et de son secrétaire général Mouloud Mammeri pendant la guerre des Six- Jours qui a opposé, au mois de juin 1967, les armées arabes à Israël. L’auteur de l’article «La trahison des clercs» (n° 232, 22 juillet-29 juillet 1967) pointe du doigt l’écrivain Mammeri «qui s’est rendu en pèlerinage, il n’y a pas si longtemps à Buchenwald, n’a pas daigné répondre à l’offre qui lui a été faite d’effectuer le même pèlerinage en Jordanie pour rendre compte des méfaits de certains rescapés des camps de la mort». Citant son œuvre Le Foehn ou la preuve par neuf(Paris, Publisud, 1982), qui venait d’être montée au TNA par Jean-Marie Boeglin, le rédacteur évoque un «patriotisme circonstanciel ». Et ce ne fut pas la pire des insultes. Dans sa réponse, publiée dans le n°233 de Révolution africaine (30 juillet-6 août 1967), Mammeri insiste sur la morale du clerc, car c’est bien là le fond du problème : «Mais le vrai clerc ne ment pas. Il ne doit pas tromper sur la qualité de la marchandise. Faire croire à ce peuple que les vrais clercs sont des rhéteurs aptes à la production sur commande, c’est montrer à quel point on les méprise.» Cette réticence à un alignement automatique sur les mots d’ordre du pouvoir et de ses représentants, cette distance critique face à l’événement et, en tout cas, la réaffirmation de la liberté du penseur face à l’omnipotence des légats, n’est ni comprise ni admise par la rédaction de l’organe du parti FLN. Dans un second article intitulé Le rabouilleur ou la “colle” inoubliée (n°234, 7-14 août 1967), le rédacteur de l’hebdomadaire du parti unique revient sur les incriminations essentielles à l’origine de la polémique : «Depuis sa création, l’Union des écrivains algériens n’a pas montré le réel visage de l’Algérie révolutionnaire.

Cette Union brille de mille feux… par son absence. Son existence est révélée aux Algériens de temps à autre par quelques congrès qui se tiennent çà et là. Mais là n’est pas le fait important : il s’agit de savoir si cette Union est ou n’est pas une organisation nationale.» En fait, c’est bien l’autonomie, rappelée par Mammeri, de l’UEA face aux attentes du FLN qui dérange. Dans les faits, bien distante par rapport aux tentatives de «normalisation » du parti FLN, l’UEA— qui rassemble des écrivains, de différentes provenances, aux philosophies diverses, et non pas des militants — ne pouvait en être un satellite. Et exécuter les ordres du jour du FLN et, plus largement, du pouvoir, sur les politiques nationales et internationales. Le rédacteur de Révolution africaine désigne alors la responsabilité de l’UEA et de Mouloud Mammeri : «[…] elle se devait par la voix de son président de condamner sans équivoque l’agression sioniste, qui ne permet d’autre alternative que d’être avec ou contre la cause palestinienne. On est le complice de l’agresseur si on n’est pas l’allié des agressés, parce que cette alliance est dans la nature des choses. Mettre une prise de position en faveur des Palestiniens sur le compte du béni-ouiouisme de la pensée relève d’un raisonnement simpliste et nous donne encore la preuve intangible de cette malhonnêteté intellectuelle. Pis encore, c’est dramatique.» Cette double accusation de tourner le dos à «l’Algérie révolutionnaire» et de s’écarter des stricts ordonnancements de l’«organisation nationale», majorée d’un silence coupable face à l’agression israélienne, ouvrait les portes de l’enfer, en ces années de plomb du parti unique, à ceux qui s’y exposaient. Mammeri entendra les bruits de la meute. Le même numéro de l’hebdomadaire du FLN donne — dans une partition sans fausse note — la parole à un groupe de lecteurs — anonymes — de Tiaret dont la condamnation est sans appel : «Pourquoi les écrivains algériens sont demeurés muets durant la guerre d’agression israélienne ? Mammeri a répondu en refusant de répondre. C’est déjà une réponse […] Nous réclamons à notre avant-garde intellectuelle de ne pas se transformer en arrière-garde. Nous sommes en droit d’exiger cela, même s’ils comptent parmi leurs amis un grand nombre de sionistes notoires.» Pernicieux sous-entendu ? Clouer au pilori, en cet été 1967 embrasé et résolument palestinien, cet ennemi intérieur — longtemps décrié dans les kasmas FLN et bientôt dans la «famille révolutionnaire» — qui n’a pour lui que la morale du «vrai clerc» pour s’insurger contre l’embrigadement du puissant FLN ? Révolution africaine dans un autre courrier, signé par Mme Chohra F., actionne l’arme redoutable de la stigmatisation : «Je commence à avoir certains doutes. M. Mammeri est-il algérien ? Ma question n’est pas une banale plaisanterie. Elle est motivée par le retrait que M. Mammeri prend pour parler de l’Algérie au démonstratif. “Ce pays”, écrit-il. “Ce pays” qu’il se plaît à critiquer avec “négativisme”, c’était peut-être une occasion pour lui d’exprimer quelque rancœur et quelque petite idée malsaine, quant à la culture telle qu’elle est conçue chez nous […] Est-ce des propos de concierge que de demander pourquoi un écrivain algérien n’a pas exprimé son opinion au sujet du conflit qui nous oppose à l’impérialisme et au sionisme ?» L’écrivain Mammeri — qui s’est scrupuleusement avancé dans cette polémique en son nom personnel et sans impliquer ses pairs de l’UEA — ne sera pas, davantage qu’en 1953, écouté. Après cette polémique, il décide d’un salutaire recul. Il quitte une UEA, désormais caporalisée, réduite à un rôle de porte-voix des communiqués du FLN. Le «vrai clerc» entreverra un horizon de travail littéraire et universitaire fécond.

Un vrai Algérien

En 1952, et aujourd’hui encore, autant Taassast que Bni Boublen, avec leurs cortèges de personnages typiques, ont des droits à figurer dans l’histoire de la littérature d’un seul et même pays, l’Algérie. Le pays de Mokrane et de Menach, de Hamid Seraj et de Commandar qui dénonce la longue dépossession coloniale. Au-delà de visions du monde des auteurs Mammeri et Dib et des engagements qu’ils font prendre à leurs personnages, aux ancrages idéologiques et sociopolitiques différents, il y a l’histoire de l’Algérie, en ses multiples retranchements. Les critiques de 1953 ont sans doute préjugé du travail et de la responsabilité de l’écrivain en regard d’une littérature nationale qui n’existait pas. Ils ont plus cherché à valider un projet politique qu’un projet littéraire. L’auteur de La Colline oubliée n’a pas failli, ni politiquement ni littérairement. Je retiens de la réception critique de la presse française de ce premier roman la reconnaissance d’un art supérieur — et sublime — de la langue littéraire, ce qui précisément était pour Mohand Cherif Sahli le plus outrancier des sacrilèges contre la cause nationale. Sahli, qui répudiait «l’art pour l’art», ne voulait pas distinguer la langue brute du tract politique de celle ouvrée de la littérature. Mais c’est cette pureté de la langue — marque distinctive des œuvres de Mammeri — qui portera dans ses écrits de la guerre d’Indépendance, une pensée anticoloniale sans aspérités. Ne peut-on pas louer la constance de l’homme et des idées qui ont tracé sa voie dans la marche contrastée d’une nation algérienne à laquelle il aura beaucoup apporté et dont son œuvre — littéraire et scientifique — enrichit le patrimoine. L’écrivain et chercheur Mammeri a défendu l’exigence — toujours actuelle — de ne pas confondre la politique, la littérature et la production intellectuelle et d’aliéner les unes à l’autre. Jusqu’au bout de son chemin d’éclaireur, il continuera à en enseigner l’humble leçon.

En 1953, comme en 1967, et aussi en 1981, dans les heures poignantes du «Printemps berbère», cette liberté de conscience était intolérable pour ses contradicteurs. L’infinie sagesse de Mouloud Mammeri, ressourcée dans le message des imusnawen des fières montagnes de Kabylie, pays de haute mémoire, a bouleversé — et bouleverse toujours — l’immuable cercle des bien-pensants, sa valetaille et ses légions de ferrailleur. Celui qui proclamait avec humilité n’être qu’un clerc (un «vrai clerc») était — dans la fidélité à son humanisme ancestral — un vrai Algérien.

A. M.

5 Commentaires

  1. Donner du crédit à un idiot, c’est tomber dans son jeu. mais c’est une preuve de plus que même disparu, Mammeri fait encore peur. peur aux pouvoir et aux tenants du panarabisme. Quant à cet illustre inconnu, son nom ne m’évoque qu’une sombre histoire, celle d’un tueur, égorgeur et assassin qui n’a pas froid aux yeux de revendiquer haut et fort ses « hauts faits d’armes ».

  2. ppfffffffff article honteux d’un vulgaire algérien… voir ce genre de merde publié est une honte pour ce site!

  3. ppfffffffff article honteux d’un vulgaire algérien… voir ce genre de merde publié est une honte pour ce site!

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici