Après l’indépendance des Touaregs, à qui le tour?

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On peut retrouver un pays entier dans un trou (Avec Saddam), le réduire, l’envahir, lui faire une respiration artificielle comme pour l’Afghanistan ou le voir disparaitre dans un lynchage sans fin comme en Libye et ses fédérations virtuelles séparatistes. La souveraineté d’un pays se trace, aujourd’hui, au jour le jour. On n’est plus d’ailleurs au lendemain des fastes des décolonisations: à l’époque, il suffisait de chasser le colon et d’avoir une armée et un hymne pour avoir un territoire. Ce n’est plus le cas. On l’a compris avec ce qui se passe au Sahel? Mais qu’est-ce qu’on a compris au juste? Ce sont les pays-origami, nom de l’art du pliage du papier, au Japon.

Lawrence du Sahel?

Après la chute de kadhafi il y a presque un an, il y a eu ses armes. Partout et pour tous: une sorte de solde gigantesque pour candidats aux rebellions et aux refondations des frontières selon les identités meurtries et interdites pendant longtemps. Au Sahel, cette région désertique qui fonctionne comme un remake du pays de Lawrence d’Arabie, c’est donc la mode. Depuis des années, une sorte de nouveau pays est né, par défaut d’Etats puissants dans les pays limitrophes.

Depuis des années, et bien avant le printemps arabe, une sorte de mécanique y a été déclenchée dans cette région: terrorisme/anti-terrorisme, touriste/terroriste, otage/rançon et donc droit d’intervention/nouvelle cartographie. Le sahel est un pays qui a la surface de l’actualité et des médias, pas celle de ses frontières. Une question y fait mode selon un ami. Celle du «Qui kidnappe qui?» et du coup, les portes sont grandes ouvertes pour le reste. C’est dire qu’un pays peut naitre d’un communiqué, d’un otage, d’une rançon et de quelques rumeurs de bases secrètes et de centres d’écoutes comme on le répète pour les américains.

Les pays voisins se rétractent, comme l’Algérie et commencent à accepter la réduction de leur souveraineté, le Sahel prend de la surface, s’agrandit, devient un comptoir d’échange, un cheval de Troie au pays du chameau et peut se transformer en embuscades, en prise d’otage, en Etat pour les azawad ou en émirat pour al-Qaïda du Maghreb. Qu’un pays comme celui des Azawad depuis une semaine, avec la rébellion au Mali, y soit né aussi facilement prouve que d’autres peuvent disparaitre tout aussi facilement.

D’ailleurs, c’est un phénomène de répartitions des forces: si la décolonisation vous donne un pays et que vous n’en faite rien pendant longtemps, l’histoire arrive, regarde puis vous le reprend car l’histoire est occidentale et ne pardonne pas l’oisiveté ni la mauvaise herbe.

L’effet dominos des minorités?

Possible. Un ami de l’auteur parle «Tu a vu le drapeau des Azawad hier? Il ressemble à celui du MAK en Algérie ». Le MAK? C’est le mouvement pour l’autonomie en Kabylie. Il veut lui aussi un pays «Kabyle», il a des ministres et un gouvernement en exil. Après les Azawad verra-ton un pays du MAK et un autre du Rif au Maroc et de Senouci en Libye? Quand elles ne sont pas bien gardées, les frontières rêvassent et s’endorment, dit un faux proverbe.

Le Sahel et le Mali prouvent que des pays peuvent aussi être troués de l’intérieur, subir des déchirures de surface à l’intérieur même de la surface nationale : cela se voit, depuis des années dans les pays «arabes» qui ceinturent l’Occident: des zones néo-tribales, des zones pétrolières à accès limité, des zones «green zone» où un Pouvoir menacé se réfugie ainsi que ses enfants, des zones confessionnelles ou d’émeutes répétitives et des zones bidonvilles où le peuple se réorganise selon sa loi.

En Algérie, on peut voir un policier gérer la circulation à un carrefour et voir, dix mètres plus loin, un revendeur de devises ou de drogue faire son business illégale et au mépris de la notion d’espace public et de la loi, sans que l’un inquiète l’autre. Il y a, entre les deux une zone trouée, une tranchée, une crevasse où l’espace est avalé. Et généralement, c’est parce qu’on cède un trottoir que l’on cède, des milliers de kilomètres plus loin, un pan de sa frontière. Un effet dominos. C’est vous dire donc que réunir des généraux et des chefs d’État-major militaires, cycliquement au Sud comme le font les pays du Sahel pour traiter de la question du Sahel est presque amusant : on veut trouver une solution militaire à un problème hégélien de sens de l’histoire ou de la décolonisation dans ces régions.

C’est trop tard

Le Sahel est un pays: il a son pétrole, ses nouveaux colons, ses occupants, ses terroristes, son armée, et son économie de rançons et ses frontières. C’est un territoire perdu et que les jacasseries nationalistes ou les protestations de souverainetés limitrophes ne peuvent pas récupérer. Ce qu’il faut, c’est faire semblant de soutenir une « solution autonome » quelque temps, pour ne pas heurter la sensation usée des Indépendances, puis accepter que c’est un problème internationale.

Sauf que malgré cela, le Sahel va devenir de plus en plus vaste, manger plus de drapeaux et de frontières, demander plus de rançons, justifier plus de chevaux de l’Occident et finir par avoir un drapeau. Celui de la Médine, d’une multinationale, d’une ONG onusienne ou du logo de You-tube avec des clips d’otages assassinés ou échangés ou celui des Azawad, des rebelles, du GSPC, des Touaregs…

Le Sud qui fait taire le nord

Depuis une semaine, le Mali tombe en morceaux mais l’Algérie officielle ne dit rien. Le sujet est trop sensible. Tout ce que craint le régime est dans ce cocktail malien: la proximité, les frontière, les islamistes, les touaregs, les occidentaux, El Qaïda, les minorités qui veulent devenir une majorité chez eux, les armes de la Libye, les otages et les dossiers noirs des barbouzeries multinationales. Si on y ajoute le pétrole et les richesses minières, cela vous donne une Arabie Saoudite année 1900, avec un messianisme tribal, un émirat possible et un désordre total qui peut remonter vers les puits du pétrole.

La question du sud est une question privée pour le régime algérien depuis des années : on ne tolère pas au sud ce qu’on permet au nord: le pluralisme, l’agitation politique, les élections trop libres et le militantisme. Il y des années, des mouvements de jeunes demandant l’autonomie du sud ont été discrètement et violement réprimés. Le sud algérien est traité sous l’angle sécuritaire, pas celui de la citoyenneté de ses habitants. Les élections et les listes électorales s’y partagent selon le calcul des tribus et des chefs. La doctrine de la sécurité des approvisionnements énergétiques y impose le régime martial et pas la négociation citoyenne.

Le sable c’est mieux que la barbe

En réaction, les terroristes du GSPC du nord l’avaient bien compris: l’avenir de tout terroriste qui parle à la place de Dieu est dans le désert. Dans son imaginaire livresque, inspiré de l’Arabie Saoudite et du prophétisme de la péninsule arabique, le Sahara est le commencement de toute histoire de conquêtes islamistes. Les monothéismes sont nés dans le désert, le GSP (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) et Mokhtar Belmokhtar en feront de même et y viendront renaître en révisant leur stratégie. Dans le désert, un policier peut manquer d’eau alors que le terroriste ne manquera pas d’infini.

D’ailleurs, même du point de vue des relations internationales, on est mieux servi au sud qu’au nord: le GIA pouvait tout juste s’adresser à un ambassadeur français en détournant un avion au nord, alors que dans le Sahel il suffit de biper une ambassade de l’Europe pour faire virer son salaire par-dessus la tête du Mali et le wali de Djanet.
C’est vous dire que le monde a changé et ses terroristes aussi: le sable, c’est mieux que la barbe et un touriste kidnappé vaut mieux qu’une marche à Alger.

Et après le Mali coupé en deux? L’effet dominos sera terrible si on commence à revoir les frontières du colon par les frontières de l’ancêtre ou de la langue. Après l’Afrique des décolonisations, on risque d’avoir l’Afrique des généalogies.

Kamel Daoud

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