PARIS (Tamurt) – C’est l’édifice municipal de St Denis, ville cosmopolite de la banlieue parisienne, qui a accueilli à l’occasion de la journée européenne des langues la journée de la langue Berbère-kabyle, ce samedi 15 septembre. L’événement a été organisé par la Maison Amazighe de St Denis, association active dans la ville et présidée par Samia Ould Amara, veuve du grand militant et charismatique professeur de tamazight Nour Ould Amara. D’ailleurs, c’est en hommage à cette grande figure du combat identitaire berbère et à Kayssa Khalifi, jeune écrivaine kabyle qui nous a quitté récemment, que cette journée a été dédiée.
La journée a été entamée par une dictée en kabyle d’un texte de Mouloud Feraoun, traduit du français par Kamel Bouamara, professeur de berbère et chercheur à l’université de Vgayet. La salle de délibération communale où se tenait l’événement s’est avérée exiguë pour contenir tous les candidats venus en nombre tester leurs connaissances dans la transcription du kabyle. Beaucoup d’artistes kabyles ont tenu à participer. Le chanteur Kamel Iflis, le musicien M’henna Tigrini ainsi que le poète Arezki Rabia ont été présents. Zedek Mouloud, la nouvelle figure de la chanson kabyle engagée, était présent également. Pour l’artiste venu rendre hommage à Nour, l’oralité qui a su jusque là transmettre la culture kabyle doit se transformer en écrit, seul mode pour pérenniser une culture. « Ma nella, ad tsili taqvaylit » (Si nous y sommes, la langue y sera) a conclu Mouloud à la fin de notre improvisé entretien. En cadeau de cette première initiative du genre, un billet d’avion à destination de Kabylie a été offert au lauréat.
En parallèle de la dictée, un forum du livre s’est tenu au premier étage de la bâtisse communale. Pas moins de 22 écrivains et auteurs kabyles étaient présents pour présenter leurs dernières productions intellectuelles. Des écrivains de la sphère amazighe étaient également présents. L’essayiste Mohamed Gaya, auteur de plusieurs récits sur la vie de Lounes Matoub, le linguiste Farid Benmokhtar, le poète Mourad Bakir, l’écrivaine Bahia Amellal et Hafid Adnani, animateur d’une émission littéraire sur Brtv étaient derrière leurs stands pour dédicacer leurs ouvrages.
Pour Mokrane Neddaf, auteur de La laïcité, ce n’est pas de l’athéisme, le livre doit se transformer en cadeau qu’on présente à ses amis lors des occasions, cela joindra l’utile à l’agréable. C’est aussi une manière de promouvoir le livre et la culture de la lecture, encourage l’auteur-journaliste.
Constatant la même chose, le nouvelliste Noufel Bouzeboudja, qui a tenu à être présent également pour présenter ses multiples écrits dramaturgiques en kabyle, affirme que le livre est « l’orphelin de la culture kabyle ». Pour le père de ‘ammi klocar’, au delà de l’aspect pécuniaire, l’écriture reste d’abord une autosatisfaction et le livre est un tremplin pour diffuser des idées nouvelles dont la société a grandement besoin.
La grande anthropologue Tassadit Yacine était aussi de la partie. Venue présenter son dernier né Avec Mouloud Mammeri textes recueillis et présentés par Hafid Adnani, elle n’a pas oublié de rappeler que St Denis était un bastion kabyle durant les années 50/60 et le fait que cette ville ouvrière ressuscite la mémoire kabyle demeure un événement capital. Son éditeur, présent à ses cotés, regrette que le lectorat kabyle diminue d’année en année. Jérome Carassou (édition Non Lieu) qui a édité 3000 exemplaires de Tahar Djaout en 1995 se remémore avec amertume de la disparition de 4 librairies spécialisées à Paris. « Il y a des efforts inégalés en matière du livre kabyle et amazighe en général » pour le connaisseur du monde du livre qu’il est.
Le ‘maître’ de La pensée kabyle également présent a tenu un stand pour présenter le tome 2 de son épique livre ainsi que Des Iguelliden aux Sultants (Des rois aux sultans), son dernier ouvrage. Younes Adli, le spécialiste de l’histoire antique amazighe était ravi d’être là, à ce forum du livre amazighe. Venu spécialement de Kabylie, Da Younes dans sa modestie légendaire rappelle que les autorités algériennes musellent l’édition du livre kabyle et interdisent les Cafés littéraires d’où la nécessité de « se prendre en charge ». D’après son expérience, Younes Adli qui qualifie la production intellectuelle et littéraires kabyles d’ « accouchement aux forceps », il y a des « forces occultes qui essayent d’étouffer ce bébé ». L’auteur disqualifie « les brasseurs de vent » (allusion au pouvoir algérien) qui « après deux ans de déclarations officielles, n’ont aucune volonté réelle pour promouvoir le livre et l’édition kabyle ». Pour le libre penseur qu’il est, un intellectuel qui se respecte n’a rien à attendre d’un pouvoir illégitime et ennemi. Younes Adli donne rendez-vous à ses lecteurs et à la communauté kabyle pour le dimanche 23 septembre, à Montreuil, où il animera une conférence à propos de Tajmaat (assemblée populaire kabyle) dissoute par le colonialisme français, il y a 150 ans, et manipulée par les autorités algériennes post-indépendance.
C’est une conférence conjointe de deux femmes intellectuelles, engagées pour la langue et la culture kabyle, qui clôt cette riche journée. Nacéra Abrous, chercheur en linguistique à l’université d’Aix en Provence, et l’écrivaine Djidji Nait ont pris la place de l’édile communale le temps d’une dense communication à la salle du conseil municipal de St Denis. De prime abord, Mme Abrous qui ouvre la conférence avertit qu’elle parlera de la langue kabyle et non d’une autre langue à inventer et qui serait le tamazight. Tout au long de son exposé, Nacéra Abrous a décortiqué le mouvement associatif qui devrait, selon elle, s’engager davantage à transmettre la langue et la culture telles qu’elles ont été transmises depuis des générations, l’immigration et les autorités étant une menace permanente pour une langue minoritaire notamment dans une situation de diglossie (présence de deux langues superposées). Sa collègue conférencière revient sur l’importance du référent culturel dans la transmission d’une langue. Pour Djidji Nait, l’école algérienne reste un danger pour la langue kabyle étant donné l’imposition de référents étrangers voire hostiles à la langue maternelle des enfants kabyles. Les deux conférencières ont plaidé pour une nouvelle méthode de transmission d’une langue plusieurs fois millénaires et qui risque la disparition en l’absence d’institutions garantes de sa survie et de son développement à l’air des nouvelles technologies et de l’information.
Ahviv Mekdam
Kamel Bouamara est professeur de tamazight et non « berbère » comme écrit dans l’article.
Quand est-ce que l’on apprendra à utiliser le terme autochtone pour désigner notre langue au lieu de termes colonialistes?
« Mme Abrous qui ouvre la conférence avertit qu’elle parlera de la langue kabyle et non d’une autre langue à inventer et qui serait le tamazight. »
Cette Mme Abrous ignore-t-elle que notre langue s’appelle Tamazight depuis l’antiquité? Ce n’est pas une langue à inventer. Ce qui a été inventé (par les colonialistes) c’est le mot « kabyle », d’origine arabe et à connotation dégradante.
Si elle a besoin de démarquer la variante de Tamazight qu’elle parle des autres variantes, elle pourrait l’appeler « Tagawawt » ou « Tamazight du Centre-Nord ».
Hanoteau écrivait en 1906 dans son livre intitulé ”Essai de grammaire renfermant les principes du langage parlé par les populations du versant nord du Jurjura et spécialement par les Igaouaouen”:
“Nous connaissons aujourd’hui ces groupes sous les dénominations, arabes pour la plupart, de Kabyle, Chaouia, Chelouh, Beraber, Zenatia, Beni Mzab et Touareg.
Aucun de ces noms n’appartient à la langue des peuples qu’ils désignent. Plusieurs de ces peuples, cependant, les Kabyles par exemple, les ont adoptés et ont oublié leur nom national. Mais, partout où les populations berbères ont été à l’abri du contact et de l’influence arabes, elles s’appellent : Imazighen ou Imajaghen, pluriel de Amajegh, chez les Touareg du Sud, et Imouchagh, pluriel de Amachegh, chez ceux du Nord. “
Alors prenez note une bonne fois pour toute, arrêtez de vous humilier et débarrassez-vous du fardeau colonial.
J’espère qu’ils ont bien choisi l’extrait de la dictée parce que la
traduction de Kamel Bouamara en Tamazight (« Ussan di tmurt ») est pleine
de fautes d’orthographe.