Ait Ahmed racontait comment Krim Belkacem a été tué

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Krim Belkacem
Krim Belkacem

Nous avons réussi à récupérer une interview de Hocine Ait Ahmed qui date de 1985. Le chef historique Kabyle, exilé en Suisse, parlait de certains détails sur l’assassinat de Krim Belkacem par Boumediene. L’interview a été accordée à un journaliste marocain Hamid Barrada et nous avons décidé de la publier intégralement.

Hamid Barada : parle nous de l’assassinat de Krim Belkacem

HOCINE AIT AHMED : vous n’ignorez pas que c’est dans sa chambre d’hôtel à Francfort qu’il fut étranglé avec sa propre cravate. Il n’a été découvert qu’après plus de vingt-quatre heures par le personnel de l’établissement. À l’évidence, le forfait ne pouvait être perpétré que par un familier de la victime. La police allemande a fait son travail, les tueurs lui avaient facilité la tâche en abandonnant des documents compromettants dans une serviette déposée à la consigne de l’aéroport. On a su ainsi qu’ils étaient au nombre de trois, dont le commandant H’mida Ait Mesbah.

Je peux révéler que le malheureux Krim était tombé dans un guet-apens. La S.M avait mis au point un scénario de coup d’état et lui avait proposé d’en prendre la tête. Pour les besoins de la cause, Ait Mesbah, qui connaissait bien Krim du temps de la guerre, se disait passé à l’opposition. Tout était fin prêt pour la prise du pouvoir. La proclamation annonçant la chute du régime de Boumediene était même enregistrée. Un gouvernement était constitué : Krim, président de la République ; Ait Mesbah à l’Intérieur; Mouloud Kaouane personnage peu recommandable, recevait le portefeuille de la Justice, la Défense revenait au colonel Mohammed Saleh Yahiaoui, qu’on avait omis de consulter…

C’est d’abord en France que le complot – le vrai, l’assassinat de Krim- devait se dérouler. Il était question de faire disparaître le corps dans une villa louée à cette occasion en Provence. J’ai des raisons de penser que la police française en avait eu vent, Krim s’est vu interdire de séjourner sur le territoire français sans autorisation préalable. Les préparatifs du coup d’état se sont transposés ailleurs, et c’est ainsi que le rendez-vous fatal eut lieu à Francfort.

H B – Comment expliquez-vous que Krim, qui n’était pas né de la dernière pluie, se soit fait avoir de la sorte ?

Hocine Ait Ahmed – Je m’interroge comme vous, d’autant qu’il était expressément informé de la finalité réelle de la conspiration à laquelle il avait accepté de participer. Il était très précisément affranchi sur le rôle confié à Ait Mesbah. Là-dessus, je n’ai aucun doute pour la bonne raison que c’est moi qui l’ai mis en garde.

H.B – Comment étiez-vous informé vous-mêmes ?

Hocine Ait Ahmed – Vous comprendrez que je ne peux pas vous dévoiler mes sources. En revanche, je peux vous dire que c’est par le truchement d’un haut fonctionnaire suisse aujourd’hui à la retraite que je m’étais empressé de communiquer à Krim Belkacem ce que je savais de l’attentat qui se tramait contre lui et cela plusieurs semaines avant son exécution.

Pourquoi n’a-t-il pas tenu compte de ma mise en garde ? Probablement parce qu’il était sûr de lui, mais au fond, Krim a été victime de ses propres conceptions de l’action politique : il réduisait celle-ci à la conspiration.

H B– Pourquoi Krim fut-il visé, et non Ait Ahmed ?

Hocine Ait Ahmed – Ne vous inquiétez pas : on ne m’avait pas oublié ! Environ un an avant que Krim soit « approché », j’ai eu droit à la sollicitude des agents à la S.M. déguisés comme il se doit en opposants purs et durs. Le piège dans lequel est tombé Krim était exactement identique à celui qui m’avait été vendu. À croire que la S.M. manque d’imagination…

Ait Mesbah, flanqué de deux compères, était venu me voir en Suisse pour me proposer d’être la figure de proue du coup d’Etat avant d’être le président de la République. Bien entendu, il avait commencé par instruire le procès de Boumediene et de son régime, il m’avait longuement expliqué comment le mécontentement dans le pays et l’armée avait atteint les limites de l’intolérable… Notez qu’il ne dissimulait pas ses fonctions au sein de la S.M. Mieux, c’est en tant que chef du service opérationnel, disposant de ce fait d’une force de frappe décisive, qu’il n’entreprenait. D’ailleurs, suprême habilité, il ne me demandait rien, sinon de donner mon sentiment à l’opération. En clair, il m’offrait le pouvoir sur un plateau d’argent. J’ai décliné son offre en disant que j’étais par principe hostile aux putschs.

H B – Et Ait Mesbah a abandonné la partie…

Hocine Ait Ahmed – Nullement. Il trouvait regrettable que je ne profite pas de sa présence dans les hautes sphères de la S.M., présence qui n’allait pas être éternelle : « On n’a pas confiance en moi et je risque d’être limogé à tout moment. » Il « comprenait » mon objection de principe et s’en pressait de m’interroger sur une solution de rechange. Je me suis contenté d’insister sur l’importance du travail d’organisation des masses à lui appartenait d’opérer elles-mêmes les changements politiques souhaitables. Je m’étais bien gardé de ne lui confier aucune tâche, en dépit de ses sollicitations, mais en nous séparant, il me déclara qu’il se tenait à la disposition du FFS.

H B – Savait-il que vous saviez ?

Hocine Ait Ahmed – Il s’était au moins aperçu que sa mission n’avait pas abouti pour le moment. J’avais pris soin, en le recevant, de ne pas être seul et d’entrée de jeu, je lui avais récité un poème kabyle composé par mon aïeul. En voici la traduction :

Vous qui êtes en bonne compagnie !
Soyez le bienvenu !
Sans la volonté de Dieu,
Nous ne nous serions rencontrés.
Puisque vous avez le doigt sur la gâchette,
Prenez garde que le coup ne parte.
Je prie, je prie pour que nous soyons épargnés
Et pour ceux qui nous tendent des pièges
Y tombent les premiers.

Le message n’avait pas besoin d’être décodé. Mais notre barbouze ne s’est pas estimé vaincu pour autant. Il est revenu obstinément à la charge, mais j’ai refusé tout aussi obstinément de le rencontrer. Il a continué à m’envoyer, avec une notable assiduité, des rapports relatant ses efforts pour élargir l’implantation du FFS. De guerre lasse, il a fini par lâcher prise. Plus exactement par changer de cible. Toujours est-il que, lorsque j’ai appris que le même individu avait pris langue avec Krim, j’ai éprouvé aussitôt les pires appréhensions, lesquelles hélas, n’étaient pas infondées.

1 COMMENTAIRE

  1. Ait Ahmed a oublie d’ajouter que quand il rencontra Ait Mesbah, Il avait un groupe de confidents avec lui , juste au cas. Ce que Krim Belkacem n’as pas fait; il s’est conduit comme un bleu.
    Mais au fait, il ya un autre temoignage , celui la d’un compagnon de guerre de Krim qui donne plus de details. Je ne me rappelle pas du nom mais c’etait un interview sur TV5 que l’on peut trouver sur Youtube.

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