50e anniversaire du 17 octobre 1961 : La Kabylie, la France et l’Algérie ou les enjeux de la mémoire

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Ferhat Mehenni
Ferhat Mehenni

COMMUNIQUE (Tamurt) – Le flux ininterrompu d’immigrants algériens en France depuis 1962 n’a pas permis leur intégration qui reste, malgré quelques succès, imparfaite et inachevée. Confrontée aux tensions avec les jeunes issus de l’immigration dans les banlieues où se développe le phénomène islamiste menaçant jusqu’à l’identité française, l’histoire n’arrive toujours pas à se frayer un chemin vers l’apaisement.

Pour l’Algérie dont les relations sont souvent tendues avec la France, le 17 octobre est une occasion pour remettre le doigt sur la plaie, culpabiliser l’ex-puissance coloniale.

Beaucoup d’organisations se solidarisent à cette occasion avec l’Ambassade d’Algérie en France dans des manifestations commémoratives. Elles font œuvre militante et civique. Pour autant, nous nous demandons si, à l’avenir, tout en répondant au devoir de mémoire, elles ne devraient pas se poser des questions sur la portée de leur geste. Ne devraient-elles pas savoir que l’hommage qu’elles rendent aux victimes du 17 octobre 1961, en l’organisant avec le personnel diplomatique algérien, est détourné au profit d’un régime liberticide, raciste et criminel ?

Ne devrions-nous pas leur dire que l’Algérie d’aujourd’hui n’est plus celle des combattants de la liberté de la guerre d’indépendance ? Les représentants à travers le monde d’un régime qui a tiré avec des armes de guerre sur de pacifiques manifestants kabyles, en 2001-2003 en en faisant plus de 120 morts et des milliers de blessés, ne sont pas dignes de ceux qui, en 1961, furent ligotés et jetés dans la Seine pour leur faire payer leur courage de braver un couvre-feu raciste.

Mais ce qui, à ce jour, gagnerait à être mis en lumière dans ces actes de résistance citoyenne du 17 octobre 1961 est l’origine identitaire de ses acteurs : Kabyle.

Le contexte historique était, rappelons-le, celui de la guerre d’indépendance de l’Algérie dans laquelle la Kabylie était engagée corps et âme. Les « travailleurs algériens » et les « Français musulmans » auxquels faisait référence le communiqué préfectoral du 5 octobre instaurant pour eux le couvre-feu à partir de 20 h étaient des Kabyles dans leur écrasante majorité. La liste des morts et disparus établie par Jean Luc Einaudi est là pour les besoins des vérifications. Il y a de nombreux écrits sur le sujet, mais aucun n’a estimé jusqu’ici nécessaire relever la Kabylité des acteurs.

Pour anecdote illustrative de cette difficulté à nommer les Kabyles, rapportons cette histoire. Après la projection du film« le silence du fleuve », le réalisateur fut interpellé le 17 octobre 2003 au Cinoch’ de Bagnolet sur l’identité de ceux auxquels il a consacré son documentaire. Sa réaction fut : « C’est une indécence de poser une telle question. Pour moi, un combattant pour la liberté n’a pas d’identité ! » Alors, osons cette question entre nous. Un combattant pour la liberté n’en serait un qu’en tant que soldat inconnu ? On le voit, pour certains, l’identité kabyle est à enterrer avec chacune de ces victimes. Elle ne mériterait plus aucun hommage. Il serait grave qu’elles soient tuées de nouveau, à chaque fois que l’on tait délibérément leur origine.

Encore une fois, il ne s’agit pas de faire dans la division des Algériens, mais de permettre qu’eux aussi assument leurs différences respectives dans le respect et la dignité.

Cet écrit nous est dicté par le traitement réservé par le pouvoir algérien à la Kabylie et au peuple kabyle depuis 1962 : assassinats politiques, dépersonnalisation, répression et sabotage économique et environnemental… En privant les victimes d’octobre 1961 de leur identité kabyle, le régime algérien est plus aisé pour opposer un déni d’existence à la Kabylie. Ainsi, un crime en conforte un autre.

Le peuple kabyle n’accepte plus d’être dépossédé de son histoire et de son destin. Il entend défendre la mémoire de tous les siens tombés pour la liberté. Il s’est doté d’un gouvernement provisoire en exil pour construire son avenir de paix et porter sa voix sur la scène internationale.

Ferhat Mehenni

Paris le 16 octobre 2011

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