Un village du Djurdjura se prend en charge – Zouvga, la république villageoise

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En ressuscitant «tajjmaât», la fameuse assemblée kabyle, ses valeurs de solidarité, d’entraide et d’organisation. N’allez pas pour autant imaginer de vieux paysans engoncés dans leurs burnous discutant de la prochaine cueillette des figues assis sur de vieilles dalles de schiste polies par le temps. Point de folklore.

Tajjmaât, assemblée de concertation, a été adaptée aux temps modernes en la muant en association dûment agréée dont l’objectif premier est d’initier des projets de développement durable. C’est l’histoire d’un village qui a réinventé la citoyenneté pour permettre à tous ses habitants de vivre en harmonie. Blotti au milieu des frênes et des ormes, le petit village de Zouvga ressemble à tous ses petits frères accrochés aux flancs nourriciers du Djurdjura. Maisons aux toits de tuile rouge, villas cossues, vergers verdoyants, rien ne le distingue des autres villages.

Sauf peut-être la propreté des lieux. Ici, pas le moindre détritus qui heurte le regard. A partir de la placette du village, toutes les ruelles ont été élargies pour permettre le passage d’un véhicule. Elles ont été également soigneusement dallées avec des ardoises de schiste. Des poubelles sont disposées à chaque coin de rue. Ce n’est pas pour rien que Zouvga a été classé en 2007 village le plus propre de Kabylie. Le village a acquis un tracteur, qui peut également servir de chasse-neige, pour la collecte des ordures ménagères, mais aussi un petit engin motorisé capable de passer dans les ruelles dans le même but. Le chauffeur est payé par le comité du village. Plus qu’un village au sens traditionnel du terme, Zouvga est une petite république qui s’autogouverne par le biais de son comité de village. Après un quart de siècle de bons et loyaux services, ce gouvernement citoyen que les habitants de Zouvga se sont donné peut afficher un bilan qui rendrait jaloux l’inamovible Ouyahia lui-même. Jugez-en. Captage des sources et alimentation du village en eau potable, maison de jeunes abritant une salle de conférences, salle d’informatique, salle des soins et divers autres bureaux. Il y a mieux encore. Crèche, musée, kiosque multiservice, fontaine publique, aire de jeux, toilettes publiques, infirmerie, bibliothèque et salle de lecture, les habitants disposent de toutes les commodités nécessaires pour une bonne qualité de vie.

La dernière acquisition de Zouvga ? Une ambulance offerte par Rotary Club. En plus du comité de village, il existe deux autres associations. L’une sportive et l’autre culturelle. L’association culturelle Tagharma anime fêtes et galas avec sa chorale, ses troupes de danse folklorique et sa troupe théâtrale. Grâce au travail de l’association sportive Igli, les jeunes du village pratiquent une discipline sportive. Certains ont même pu se distinguer à l’échelle nationale dans des disciplines telles que le tennis de table, le karaté ou les jeux d’échecs.
C’est peu dire que ce village vit une sorte de renaissance.
En 1962, au sortir de la guerre de Libération nationale, Zouvga est un patelin presque décimé. 80 martyrs donnés à la Révolution, 56 veuves, 127 orphelins, le village a payé un lourd tribut à la révolution.

Les hommes encore valides n’ont guère d’autre choix que d’aller vendre leurs bras dans les usines de France. A la mort des hommes, au veuvage des femmes, il fallait encore ajouter l’immigration forcée des rares jeunes encore valides. Partis vers cette France devenue nourricière après avoir été colonisatrice. Le village est contraint d’abandonner l’artisanat du bois qui avait pourtant fait sa réputation. Presque 50 ans plus tard, Zouvga renaît des décombres. En se forgeant une nouvelle réputation bien plus précieuse. Celle d’une authentique école de la citoyenneté.

Solidarité à toute épreuve

D’où vient l’argent du comité ?

La caisse du comité est alimentée essentiellement par les cotisations des familles. Chaque foyer cotise à hauteur de 150 DA par mois.

L’argent vient également des dons des émigrés, des amendes (31 620 DA en 2006), des dons (40 millions de centimes en 2006), des zerdas que le village organise, de la location de la salle des fêtes, du kiosque multiservice, du bois et des oliviers du village. Bien sûr, les subventions de l’Etat sont rares, pour ne pas dire inexistantes. La gestion financière de l’argent collecté est gérée par le trésorier du comité sous l’égide d’un commissaire aux comptes. Au premier jour de chaque mois, le bilan financier est affiché sur la place publique à l’intention des citoyens. Chaque fin d’année le bilan moral et financier est présenté à l’assemblée générale avant d’être affiché publiquement. La transparence est une vertu cardinale comme en témoigne cheikh Bouhou : «La confiance c’est bien, la transparence c’est mieux.» Bien entendu, il ne se suffit pas de s’organiser et de cotiser pour faire marcher les affaires publiques.

L’autre point fort du village est sa discipline. Une discipline codifiée sous forme de règlement général débattu et approuvé par tous en assemblée générale. Pour cela, il a fallu exhumer un vieux «qanoun [édit]» du village ; l’un de ces codes de conduite communs à tous les villages dans la Kabylie d’avant l’occupation française, et l’adapter aux temps modernes (voir encadré). A chaque assemblée générale du village, tout foyer est tenu de se faire représenter par une personne majeure. L’honorable agora n’est pas une foire d’empoigne, mais un cénacle où la parole est distribuée par qui de droit. Une intervention sans autorisation est sanctionnée par 50 DA d’amende, un écart de langage 10 fois plus. Celui qui quitte l’assemblée sans autorisation écope d’une amende de 200 DA. Le volontariat est organisé à chaque fois qu’il est nécessaire, stipule le règlement. Présence obligatoire de tous les citoyens âgés entre 18 et 60 ans. Pas question de venir en promeneur du dimanche, il faut se munir d’un outil de travail.

Outre l’enterrement qui est rigoureusement réglementé, les autres chapitres sont consacrés à l’hygiène et à l’environnement, à la gestion de l’eau, des biens mobiliers et immobiliers, à la sécurité et à la quiétude, à la mosquée et au cimetière puis enfin aux fêtes et rites. Ainsi, beaucoup d’aspects de la vie communautaire sont réglementés. «On fonctionne ainsi depuis 1995», dit Gana Lakhbassen, secrétaire général du comité. A Zouvga, il n’est pas recommandé de s’asseoir sur les tombes du cimetière, de laver sa voiture à la fontaine du village en été, d’arroser les passants pour la bonne raison que l’on a prévu de gouttière sur la voie publique, de jeter les ordures dans la nature ou d’oublier de nettoyer la salle des fêtes après le repas des noces. Quand toutes les dispositions sont dûment consignées par écrit et approuvées par tout le village, personne ne peut se cacher son indélicatesse ou son incivisme derrière l’ignorance de la loi. Il n’y a pas, non plus, de gendarme, ni de policier, ni même de garde champêtre pour faire appliquer les lois. La responsabilité est collective.

Un comité de village qui gouverne

Le moteur principal de Zouvga est son comité de village qui s’est mué en association sociale afin d’agir dans la légalité.

«Nous sollicitons les familles pour nous fournir les membres du comité, mais nous ciblons les personnes crédibles», affirmeBoukaouma Mohand Ameziane, plus connu sous le nom de cheikh Bouhou, l’une des chevilles ouvrières de ce comité dont le nombre peut aller jusqu’à 24. Une fois réuni, le comité élit son bureau et autant dire que toutes les compétences sont les bienvenues. Maçon, plombier, commerçant, comptable, enseignant, chacun apporte son savoir-faire dans l’une des commissions qui composent le bureau. La commission «Suivi des travaux, volontariats et réparations» assure le suivi des tous les travaux collectifs engagés dans le village. La commission «Arbitrage des litiges et contentieux» est chargée de régler à l’amiable les conflits entre citoyens et d’établir un procès-verbal détaillé après coup.

La commission sociale «Rites, fêtes et traditions» assure la gestion des fêtes traditionnelles comme «timeccret », « assensi azrou n’thor ». Elle gère également les circoncisions collectives, les enterrements et établit la liste des nécessiteux pour le couffin du Ramadhan qui est distribué une fois par semaine. Elle prend également en charge les familles démunies tout le long de l’année. En cas de décès, c’est le comité qui prend en charge tous les frais et toutes les charges de l’enterrement. La présence à l’enterrement est obligatoire pour tous les citoyens. Toute absence injustifiée est punie d’une amende de 500 DA et tout retardataire doit débourser 100 DA qui iront dans la caisse du village. A chaque assemblée générale, enterrement ou volontariat, on procède à un appel nominatif de tous les gens du village.
Les absents sans justification et les retardataires doivent mettre la main à la poche.

Djamel Alilat

El Waten

07.06.11

3 Commentaires

  1. Bavo !!
    On ne peut que féliciter ses villageois pour leur capacité à s’autogérer ….à la mode de chez nous ,si je puis dire .

    Un exemple à élargir ….

    Voilà ce à quoi les kabyles doivent tendre pour en finir avec l’anarchie programmée des voyous d’Alger…

    Réhabilitons nos valeurs et coutumes ancestrales qui ont fait leurs preuves d’une société harmonieuse et ouverte.

    {{La renaissance du peuple kabyle doit s’accompagner de réformes et de modernité.}}

    Gloire aux enfants de la liberté!!

  2. Bavo !!
    On ne peut que féliciter ses villageois pour leur capacité à s’autogérer ….à la mode de chez nous ,si je puis dire .

    Un exemple à élargir ….

    Voilà ce à quoi les kabyles doivent tendre pour en finir avec l’anarchie programmée des voyous d’Alger…

    Réhabilitons nos valeurs et coutumes ancestrales qui ont fait leurs preuves d’une société harmonieuse et ouverte.

    {{La renaissance du peuple kabyle doit s’accompagner de réformes et de modernité.}}

    Gloire aux enfants de la liberté!!

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