2ème partie, Notation de Tamazight-Kabyle

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KABYLIE (Tamurt) – Voilà donc l’analyse qui consiste à considérer qu’en kabyle et même en tamazight en général le /e/ est un phonème à part entière comme /a/, /i/ et /u/

LES VOYELLES

Le système vocalique du Kabyle est fondé sur le principe des trois phonèmes de base: /i/, /a/ et /u/.

Il existe une quatrième voyelle /e/ considérée : “ Comme neutre, non phonologique. Elle apparaît pour éviter la constitution de groupes de deux consonnes et, est interdite en syllabe ouverte. Elle n’est jamais distinctive et sera systématiquement supprimée dans l’annotation phonologique. Sa nature strictement phonétique est confirmée par son instabilité selon les locuteurs.. »(S. Chaker, p.83, 1984).

Autrement dit, la voyelle /e/ n’a pas le statut de phonème. Mais, du moins en kabyle,certainement pour des raisons pratiques, on la note. La tradition marocaine qui s’inscrit dans cette voie ne la transcrit pas.

Toutefois, en plus des considérations purement phonologiques que nous aborderons plus loin , une suite comme tnldt “tombe” (parler des Ayt Seghroucen, Maroc) est difficilement prononçable, même pour un amazighophone.Car comme en kabyle à un moment ou un autre il faut insérer le /e/ dans ce mot.

Maintenant du point de vue de l’analyse phonologique, quelle est la réalité de ce “e” muet considéré comme étant de nature strictement phonétique? Dans quelles conditions apparaît- il pour séparer un groupe de consonnes?

Pour conforter l’analyse conférant au /e/ un statut non phonologique, un grand nombre de linguistes berbérisants se sont inspirés des analyses d’André Martinet qui a élaboré la fameuse règle des trois voyelles en 1969 et aussi à propos du statut du “e” muet en français. Il a d’abord répertorié les diverses possibilités d’apparition du “e” muet dans cette langue:

Jamais à l’initiale mais précédé d’une consonne /be/ de belette. En se basant sur les habitudes parisiennes, le /e/ de patte , coque /coq/ ne serait pas réalisé en finale (pat/coq).

En position interne, calepin se prononcerait comme alpin.

Dans la syllabe initiale le /e/ chute /lasmel/ “la semelle”, il se maintient là où c’est nécessaire pour éviter la rencontre de trois consonnes successives, /laptitsemel/ “la petite semelle”.note e à l’envers nommé e chwa

Il est important de préciser que cette règle des trois voyelles s’inscrit dans une réflexion visant la réforme d l’orthographe du français. La voyelle /e/ est considérée par Martinet comme un lubrifiant ne faisant pas l’objet d’un choix du locuteur.

Mais dans le cas du Tamazight, André Basset page 8, distingue:

“Les voyelles à degré plein (i, a, u ) de la voyelle /e/ à degré zéro”. Le degré zéro peut être absolu , c’est- à- dire qu’il comporte toute absence d’élément. Il peut être relatif, c’est-à-dire qu’il comporte un minimum d’éléments vocaliques que nous notons /e/ s’il est nécessaire de consitituter un centre syllabique”.

En conséquence, en reprenant l’analyse fort pertinente d’André Basset en termes de linguistique fonctionnaliste, il y a lieu d’en tirer la conséquence que la voyelle /e/ s’oppose à zéro.

Par exemple, dans la suite gezmeɣ “j’ai coupé” qui s’oppose à yegzem “il a coupé” le groupe syllabique /ge/ s’oppose à /g/ . D’autre part, le groupe syllabique/ze/ s’oppose à /z/.

En français/lasmel/ est une variante de la /laptitsemel/ alors qu’en kabyle, /tiɣmert/ n’est pas une variante de * tiɣemret et tigert n’est pas une variante de *tigret

D’autre part, l’emploi de la voyelle /e/ présente une certaine stabilité d’emploi dans la conjugaison des verbes de type VCCVC comme:

ezger“traverser”, erkeḍ “piétiner””

Prétérit Aoriste intensif

yezger izegger yerkeḍ irekkeḍ

En conclusion contrairement au cas du français, par ailleurs appliqué par André Martinet à la variante de la région parisienne, en s’appuyant sur l’analyse d’André Basset, qui, adaptée à la linguistique fonctionnaliste, démontre bien que la voyelle /e/ est un phonème à part entière, ayant une fonction distinctive dans la mesure où il s’oppose à zéro.

Les assimilations

Dans sa thèse, Alphonse Leguil estime qu’il s’agit d’accidents de la chaîne qui relèvent d’un “double conditionnement phonétique et grammatical qui ressortissent de la morphologie (Structures prédicatives du berbère p.512) . Par contre Salem Chaker voit dans ces jonctions monématiques un conditionnement phonologique.

La morphologie étudie les variations de la forme des signifiants et le conditionnement de ces variations).

Autrement dit, Alphonse Leguil considère que dans le cas de la préposition /n/ “de”; ce n’est que dans le syntagme déterminatif avec la préposition /n/ qu’il y a un passage de /n+w/ à /gg+w, bb+w (…). Il ajoute que la phonologie du kabyle n’interdit pas les suites /n+y/ ou /n+w/: efɣen yergazen “les hommes sont sortis” ou teqqen tmettut taɣaṭ “ la femme a attaché la chèvre”

Pour mieux comprendre ces phénomènes d’assimilation, il est nécessaire de les analyser dans: a) Un environnement vocalique b) Un environnement consonantique.

1. Le cas de la préposition n “de”

a- Dans une environnement vocalique

/n+w/ —– — n wergaz———– bb+w, pp+w, gg+w qui sont des variantes régionales du kabyle axxam wwergaz /axxam bb-wergaz/ pp-wergaz/ gg-wergaz

Chez les mozabites, n+w—————-n +u taɣrit n uḍefli “le bâton du garçon” (Exemple emprunté à J. Delheure, 1986 p.41)

En tagagargrent de Ouargla, n+——————-n+w ixef n uɣyul “la tête de l’âne ( J. Delheure 1987, p.78)

b- Dans un environnement consonantique

Dans l’environnement de certaines consonnes, on observe un effet d’assimilations provisoire accentuées par les faits de phonie

n+t—————-n tmettut——————–t-tmettut n+f————— n Farida———————f-Farida n+l —————n Lunja———————–l-Luna n+m————–n Malika———————m-Malika n+r————– -n Racida———————r-Racida n+y—————n yemma—————— g-gemma

Sinon , il n’y a pas d’assimilation dans un environnement où la consonne est doublée: ifer n erreman “la feuille de grenadier”

La préposition se maintient au contact de certaines consonnes dont le point d’articulation rend l’assimilation très dificile: Axxam n Zahia “la maison de Zahia” Lakul n Jeǧǧiga “l’école de Jedjiga” Taqendurt n Ṣaliḥa “la robe de Saliha”

Chez les mozabites, la préposition /n/ se maitient : Zaw n tmeṭṭut “les cheveux de la femme” En teggargrent de Ouargla : Ixf n teyẓiwt “la tête de la fille”

2- La préposition di/deg “dans”

a- Dans un environnement vocalique

di+voyelle—————-deg+voy.——- Adfel yekkat deg wedrar “il neige à la montagne”

b- Dans un environnement consonantique

di+cons.——————–ugmeɣ d aman di tala “ j’ai puisé de l’eau à la fontaine”

3- La préposition ɣef “sur”

ɣef+ voy.——————ɣef wagi—————– ɣeffagi “sur celui-ci” ɣef+ cons.—————–ɣef tewwurt/tebburt/teppurt/teggurt

4- Le comparatif am “comme”

am+voy.————–am wagi—————–ammagi “comme celui-ci” am+cons.————-am tagi “comme celle-ci”

5- Le monème de prédication /d/

d+voy.—————–d-argaz “c’est un homme” d+cons.————–d tameṭṭut ——–t-tameṭṭut “c’est une femme”

6- La proposition relative (3ème personne du singulier)

Pour bien percevoir la spécificité de la relative, il importe de l’opposer dans un même contexte à une non relative.

a- Une construction relative:
iḍelli i yedda– ———–iḍelli i gedda “c’est hier qu’il est parti”

b- Une construction non relative:
iḍelli yedda—————-”il est parti hier”

Dans la construction iḍelli i gedda l’indice de personne /ye/ passe à /ge/ en raison de la proximité du pronom relatif /i/ay/. Dans la construction simple iḍelli yedda il n’y a pas d’assimilation malgré le voisinage du /i/ et du /y/. Par ailleurs, en commutant cette construction avec la première personne du pluriel, on ne constate pas d’assimilation dans les deux cas: iḍelli i nedda/ iḍelli nedda

Donc il semble bien qu’à la suite d’Alphonse Leguil, la phonologie du kabyle n’interdit pas l’environnement /i +n) .

7- Assimilations de type verbal dans certains environnements consonantiques

ad+n ——————–ad nawi————————a nawi “nous emporterons” i+d ———————-ansi d tekkiḍ—————-ansi d ekkiḍ “d’où viens-tu?

C’est l’exemple du chanteur Ait Menguellet qui utilise systématiquement la forme

originelle: Ansi d tekkiḍ a y agu? “D’où viens tu brume”

Ad +d (d est la modalité spatiale “vers ici” qui s’oppose à n “vers la-bas” ——————- ad d dduɣ——————– a d dduɣ “je viendrai” ———————ad n edduɣ—————— a n dduɣ “

Il est important de dire que le principe de cohérence de la graphie, mais surtout du respect de la hiérarchisation des éléments grammaticaux, notamment dans la perspective de l’enseignement de la langue kabyle, nous incite à considérer ces assimilations comme provisoires car accentuées par le phénomène de l’oralité.

Sinon de façon générale, le choix d’un système de transcription fiable et cohérent, nous incite tous à une réflexion approfondie, afin de ne pas tomber dans les erreurs des grammairiens de la langue arabe qui se sont bornés à décréter que certaines prononciations sont correctes, d’autres vicieuses, sans apporter d’autres arguments que l’autorité de tel ou tel locuteur du Coran.

Ils ont longtemps ignoré le principe de l’évolution des langues, se copiant fastidieusement les uns les autres. La phonologie du Cercle de Prague est restée sans application en arabe.

Une politique linguistique saine, consiste à encourager les travaux de recherche (description des systèmes phonologiques, morphologiques et syntaxiques des langues amazigh. Une fois ces descriptions faites on pourrait un jour envisager l’unification de la langue. Toutefois la langue mère est bien TAMAZIGHT qui a donné plusieurs langues (kabyle, mozabite, chaoui (…° mais qui ont un fond commun grammatical et des variations lexicales, comme le latin en Europe qui a donné le français, le portugais, l’espagnol (….)

Bibliographie

Basset A.1969 La langue berbère,International African Institute, London Bloomfield L. 1970 Le langage, Paris Payot. Chaker S. Textes de linguistique berbère, Paris, CNRS Dallet J.M. 1982, Dictionnaire Kabyle- Français Paris, SELAF Delheure J. 1986, Les études sur la langue mozabite 1987, Grammaire de la teggargrent (Ouargla) manuscrits Galand L. Etudes de linguistique berbère de 1957 à 1996.Annuaire de l’Afrique du Nord, T. IV, Paris, pp.743-765; 1953, La phonétique dialectologique berbère, Orbis, t II, 1, pp 225-233 Leguil A. Structure s prédicatives en berbère, thèse, Université Sorbonne Nouvelle. Paris III Mammeri M. Poèmes kabyles anciens, Paris Maspero, Voix- Tajerrumt tantala n teqbaylit Martinet A. 1969 Le français sans fard, Paris, PUF; 1970, Economie des changements phonétiques, Ed. Francke, Berne, 3ème éd. Troubetzoy N.S., 1949, Les principes de phonologie, Trad. Jean Cantineau, 1957 Paris, Klinckiel Ait Ahmed- Slimani S. Proverbes berbères de Kabylie, Inzan, l’Harmattan 1996

Sakina Ait Hmed

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