Affaire LNI : Réponse magistrale de Meziane Abane au dérapage médiatique de Farid Alilat

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Le journaliste et militant kabyle Meziane Abane
Le journaliste et militant kabyle Meziane Abane

DEBAT (TAMURT) – Se disant choqué et sidéré par l’article de Farid Alilat publié dans les colonnes de Jeune Afrique sur le procès de l’assassinat de Djamel Bensmail à Larbaa Nath Irathen, le journaliste et militant politique kabyle Meziane Abane a tenu à répondre à son confrère de façon magistrale. Nous reproduisons ci-dessous l’intégralité de sa réponse publiée sur sa page Facebook.

Meziane Abane, journaliste

Analyse de l’article : « Algérie : Djamel Bensmail, autopsie d’un crime barbare », publié par Farid Alilat, le 24 octobre 2023, au Jeune Afrique

J’ai lu avec beaucoup d’attention le papier publié par Farid Alilat, le 24 octobre 2023, au Jeune Afrique, sur l’affaire de l’assassinat du jeune artiste Djamel Bensmail et je tiens à faire les remarques suivantes.

Avant de commencer, je tiens à souligner que j’étais choqué, comme de nombreuses personnes, par la tournure de l’article et par certains faits déformés rapportés dans son papier. Mais j’avoue, que j’étais aussi sidéré par son courage. Car il faut avoir de l’audace pour écrire une telle chose. On ne peut être journaliste professionnel, possédant toutes ces années d’expérience et être Kabyle en plus, donc être très proche des événements et connaisseur des tenants et des aboutissants de ce genre d’affaires et écrire une telle supercherie contre ceux-là même qui souffrent de cette propagande du régime algérien. D’autant plus qu’il (le régime) a instrumentalisé cette affaire pour accabler les Kabyles et la Kabylie qu’il qualifie, depuis, de terroristes et d’assassins. Beaucoup d’entre eux ont payé cher le prix et ont été condamnés à la peine de mort pour un crime qu’ils n’ont pas commis. La Kabylie vit, depuis, une vague de répression sans égal.

Je n’aurais rien dit si Farid Alilat était un journaliste de service. Je n’aurais rien dit s’il était un journaliste en herbe ou qui vient juste de commencer sa carrière. Je n’aurais peut-être aussi rien dit s’il écrivait pour un média inconnu. Mais là il s’agit du prestigieux Jeune Afrique, média francophone lu non seulement en France mais aussi dans le monde entier. Pour moi, cette version de l’affaire de l’assassinat de Djamel Bensmail correspond exactement à celle que le régime raciste d’Alger veut absolument nous faire croire. C’est la raison pour laquelle, j’ai décidé de commenter ce papier et de répondre, non en tant qu’ami, non en tant que Kabyle ou en tant que militant. Je le fais en tant que journaliste et confrère.

Alors, cher confrère du Jeune Afrique,

Nous savons dans le métier que le chapeau a son importance. Ce dernier résume le papier. Il doit être attractif et pour l’être, il doit fournir les informations les plus importantes afin d’inciter le lecteur à aller au-delà et lire la suite. Ton chapeau, cher confrère, est affirmatif : « Accusé à tort d’avoir allumé des incendies en Kabylie, Djamel Bensmail a été lynché et brûlé par la foule. En appel, la justice a prononcé 38 condamnations à mort contre les assassins. Que s’est-il vraiment passé le 11 août 2021 à Larba Nath Irathen ? » Ainsi, tu as préparé tes lecteurs et tes lectrices à lire «la vérité ». Sauf que dans ton papier, tu n’as fait parler aucune source ! Aucune source n’est citée pour une affaire aussi sensible et délicate ? C’est toi même qui le dit dans ton papier :« c’est un crime barbare qui a choqué au-delà des frontières ». Comment peut-on traité une telle affaire qui a choqué le monde sans nous référer aux sources ? Les seuls guillemets que t’as ouverts, je rappelle, étaient celles dans lesquelles tu reprends les dires du défunt et ceux des assaillants comme tu les appelles. De plus, ce sont des déclarations que t’as recueillies, comme tu le précises, des vidéos postées sur les réseaux sociaux. Est-il un travail sérieux ? Ce n’est pas mon avis ! Je me demande comment Jeune Afrique a pu publier un papier non sourcé ?

Pour le journaliste que je suis, et je sais que je ne suis pas le seul à le penser dans le métier, ce que tu as écrit ne peut être qualifié d’enquête, mais un récit dans lequel tu racontes ta propre vérité, pas ce qui est réellement passé.

Allons maintenant dans le vif du sujet. Tu as commencé ton papier par nous plonger dans l’horreur des islamistes et des exactions du régime durant les années 1990. Tu as ainsi épicé ton papier et tu as préparé l’imaginaire de tes lecteurs et de tes lectrices afin de faire le lien entre les massacres et génocides terroristes avec ce qui est arrivé à Larbaâ Nath Irathen. Tu l’as fait sans aucune nuance en reprenant ainsi, la propagande du régime et ses relais qui ont imputé le crime à toute la Kabylie et les Kabyles qu’ils qualifient, depuis, de terroristes. Ainsi pour le régime algérien, les kabyles sont devenus, du jour au lendemain, des assassins et des criminels.

Autre chose. Une phrase a attiré particulièrement mon attention. «Et les vidéos enregistrées et diffusées ce jour-là serviront plus tard à confondre et à arrêter les assassins et les auteurs d’actes de lynchage et de torture». Tu n’as en aucun cas raconter l’histoire de ces 38 personnes condamnées à la peine de mort. De plus, tu les qualifie d’«assassins» dans ton chapeau. «La justice a prononcé 38 condamnations à mort contre les assassins». Sauf que tu ne cites que quelques noms qui, selon toi, ont participé au crime. Qu’en est-il alors des autres à l’instar de Youcef Gueddache, Mohand Laskri et Yacine Nekkache pour ne citer que ceux-là. Ont-ils participé aussi ? Aucunement cher confrère, car ils font partie de dizaine de militants kabylistes interpellés par le régime, torturés, violés et condamnés à la peine de mort alors qu’ils ne se trouvaient même pas sur le lieu du crime. Dans ton papier, tu n’as fait aucune allusion à ce fait très grave qui permettra à tes lecteurs notamment, de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire. Ainsi, ils se diront en lisant ton chapeau que ces 38 personnes ont toutes participé au crime et qu’elles ont été identifiées grâce aux vidéos que tu évoquais dans ton article. De ce fait, toutes les personnes jugées, y compris les militants Kabylistes arrêtés et condamnés à la peine de mort dans cette affaire, sont complices.

En continuant à te lire, je suis tombé sur plusieurs paragraphes que je trouve ambigus et problématiques. L’un d’entre eux est celui-ci : « Depuis deux jours, presque aucune localité n’est alors épargnée par ces feux, qui ne laisse aucun répit aux populations locales. Tant et si bien que certains finissent par croire qu’ils sont d’origine criminelle ». C’est dommage de lire de telles aberrations. Comment est-ce possible, alors que tu es censé t’informer et informer les autres. Tout le monde te contredira en te disant que c’était l’État lui-même qui l’a annoncé à travers son directeur des forêts de la wilaya de Tizi-Ouzou. En effet, ce dernier a annoncé à la télévision nationale, au tout début des incendies qui ont ravagé les forêts de la wilaya de Tizi-Ouzou et qui ont fait plus de 200 morts, que l’originaire des feux était humaine et qu’ils ont été déclenchés par des pyromanes. Ce n’est pas les gens qui ont fini par le penser comme tu le dis.

Tu pouvais même allez plus loin afin d’aider tes lecteurs à mieux comprendre les dessous de cette affaire en rappelant que le régime a déclaré ceci pour préparer le terrain et accuser par la suite le MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie) d’être dernière les incendies et l’assassinat de Djamel Bensmail, ce qui explique l’interpellation de ses militants et sympathisants, accusés dans le même dossier. Ces kabylistes dont je parle sont aujourd’hui condamnées à la peine de mort alors qu’elles n’ont aucun lien avec le crime en question.

Plus loin encore dans ton article, j’ai lu ce paragraphe. «À Larba, ce mercredi après-midi, un groupe de jeunes repère une Clio blanche immatriculée à Boumerdes, à 60 kilomètres de Tizi Ouzou, dans laquelle se trouvent Lyes Fekkar et Fouad Mezrara. Ce sont des étrangers à la région, crie-t-on. Des suspects forcément, des pyromanes assurément.»

Je te rappelle que la présence d’un véhicule étranger en soi n’était pas un événement car toute la wilaya de Tizi-Ouzou, la région de Larbaâ notamment, pullulait d’aides et de véhicules qui venaient de toutes les régions d’Algérie. C’était cela peut être qui dérangeait le pouvoir, lui qui croyait avoir réussi à isoler la Kabylie. De plus, tu ne cites aucune source pour appuyer ces détails si importants, ce qui rend le récit fragile.

Tu précises encore une fois le fait qu’il était étranger à la ville et tu en fait une focalisation, comme pour dire, comme l’était la propagande du régime, les habitants de Larbaâ ou de Tizi-Ouzou sont xénophobes et racistes alors que des étrangers, comme tu les appelles, étaient partout dans la région. Ils sont venus de toute l’Algérie pour aider à éteindre les feux et personne n’a vécu ces actes racistes ou xénophobes dont tu parles. Ceci ne veut absolument pas dire qu’il n’existe pas de racistes ou d’xénophobes dans la région, mais de là à en faire une généralisation et une focalisation, c’est de la propagande du régime d’Alger.

Puis, tu ajoutes : «Djamel Bensmail se trouve sur les lieux même et filme la scène de l’attaque contre la Clio à l’aide de son téléphone portable. Aghiles et Chaabane l’ont-ils repéré en train de filmer la mise à sac de la Clio ? Ont-ils peur que la vidéo prise par Djamel puisse éventuellement servir de pièce à conviction dans le cas où les deux passagers porterait plainte ? Toujours est-il que Djamel Bensmail est vite désigné comme un des passagers de ce véhicule, comme son propriétaire et, pire encore, comme l’un de ceux qui ont allumé les feux à Larba et dans ses environs. Venu porter secours et assistance, il passe de suspect à coupable sans aucune forme de procès. Pour échapper à la vindicte populaire, il trouve refuge auprès de la police, qui le conduira vers le commissariat. Délivré et sauvé ? Son calvaire ne fait en réalité que commencer.»

Franchement, je ne sais pas quoi dire concernant ce paragraphe. Des suppositions de journaliste deviennent des vérités ! Elle est où la source qui confirme ces dires ? Ce sont tes propres suppositions, non des affirmations. De plus, il manque un élément important dans cette histoire. Tu dis qu’il a trouvé refuge auprès de la police. Donc, il a été sauvé en quelque sorte par cette dernière. Comment expliques-tu alors, la campagne médiatique qui a suivi son arrestation. Tous les médias, Al Hayat notamment, disaient au même temps que, les services de la police ont interpellé le pyromane qui a brûlé Larbaa Nath Irathen. L’information est relayée, y compris dans les réseaux sociaux, alors que le camion (fourgon) de la police n’est même pas arrivé à Larbaâ Nath Irathen. C’est cette Police même qui l’a présenté comme pyromane à la population avant de le lâcher et l’abandonner au milieu de la foule. Ce fait contredit ta thèse et prouve que la Police est complice dans l’assassinat de Djamel Bensmail, ainsi que les médias qui ont relayé la fausse information.

La suite m’a scotché notamment quand tu dis : « Pris à partie par des jeunes qui l’accusent d’avoir délibérément allumé des incendies, Djamel sera supplicié dans l’enceinte du commissariat de police de cette ville avant d’être brûlé et décapité sur une place publique » ………… « À l’intérieur du commissariat, ils sont maintenant des dizaines d’individus à cerner le fourgon à l’intérieur duquel Djamel Bensmail est encore sous bonne garde. » Deux phrases sont importantes dans ce récit : « supplicié dans l’enceinte de la police » et « sous bonne garde ». Ceci est un pur mensonge. Le fourgon ou le camion n’a jamais été à l’intérieur, mais à l’extérieur du commissariat. Peut-être que ton intention était de dire que la police a tout fait pour le protéger et que ces « cannibales » ont pénétré, comme dans un film bollywoodien, à l’enceinte de la police pour l’extirper des mains gardiennes et fragiles de cette dernière afin d’accomplir l’interdit, le crime. Si ce n’est pas la version de ceux qui veulent cacher la vérité aux gens, je ne sais quel fou peut songer à ce scénario comme si personne n’avait vu ce que c’était passé.

Revenons à nos moutons. J’ai trouvé le paragraphe suivant très osé quand même, la raison pour laquelle j’ai parlé d’audace : « La pression sur les policiers est telle qu’ils finissent par céder aux assaillants en quittant les lieux.» Quel lieu ont-ils quitté pour commencer puisque tu as dit qu’ils étaient à l’intérieur du commissariat ? Voilà une contradiction flagrante cher confrère qui démontre que ta version est biaisée. Comme je l’ai dit, ces gens étaient bel et bien à l’extérieur et pas que. J’ai l’impression que tu fais tout pour passer l’idée que la police était gentille, et que les autres, étaient des méchants. J’ai presque envie de dire : c’est mignon ! Donc, selon toi, ces policiers armés aux dents ont eu peur de quelques citoyens et ont fini par céder ! En connaissant assez bien la police algérienne, et pour avoir été victimes à plusieurs reprises de leurs exactions, je dirai que cette supposition dont tu en fais une confirmation ne tiens pas. Ces policiers armés auraient pu le sauver, mais ils l’ont livré aux assaillants. Et bien même, pourquoi ils n’ont pas été convoqués ne serait-ce que pour les entendre dans cette affaire ? Pourquoi ces policiers, censé protéger le défunt, n’ont pas été accusés ne serait-ce que «de non-assistance à une personne en danger » ? De plus, ce sont eux qui ont propagé l’information de l’interpellation d’un pyromane et ce sont eux qui l’ont conduit jusqu’à la foule qui avait au préalable l’information. Voici un sujet qui mérite d’être traité. Dans ton papier, cher confrère, tu as omis d’en parler et de pointer du doigt la responsabilité de cette police, ce que j’appelle : restriction de l’information, pour ne pas l’appeler autrement.

De plus, puisque tu as vu toutes les vidéos, tu ne t’es pas demandé où sont partis les deux hommes qui l’ont poignardé à l’intérieur du véhicule de la police ? Ceux-là même, en tenue civile, qui l’ont livré aux assaillants. Nous avons leurs photos. Ils n’ont jamais été jugés ou présentés à la justice !

Pour le reste de l’article, sache que je me suis forcé à te lire pour te répondre car les détails de son assassinat étaient poignants. En parlant de vidéos, je n’ai pas pu tout voir. L’information de son assassinat m’a plongé dans une grande tristesse, d’abord pour le crime horrible perpétré, pour toutes les victimes des incendies, pour Larbaâ Nath Irathen et pour la Kabylie tout entière. J’ai compris que le pouvoir avait réussi son coup et que la Kabylie allait vivre un autre cauchemar après celui des feux de forêts, ce qui est arrivé.

Je regrette aussi de ne pas lire dans ton article les déclarations des Kabylistes notamment, celles de Mohand Laskri dit Vakhouche, interpellé et accusé dans ce dossier et condamné à la peine de mort pour le seul fait qu’il est kabyliste. Son image a fait le tour des télévisions. Il a subi un lynchage médiatique et il a dit devant le juge qu’il a été torturé et violé en prison. Il n’était pas le seul à subir ces exactions.

Je pense que cacher la vérité sur l’assassinat de ce jeune artiste c’est de le tuer une deuxième fois. Je n’en parle même pas du procès expéditif où la justice, comme s’il en existe une en Algérie, n’a respecté ni la présomption d’innocence ni assurer un procès équitable à tout le monde.

À la fin, je souhaite te rappeler que je ne t’ai jamais lu sur la Kabylie après tout ce qu’elle a enduré de la part du régime qui a assumé son racisme et qui s’est acharné sur elle, son élite et ses citoyens depuis plus de trois ans. La seule fois où tu l’as fait, c’était pour l’accabler. Je n’ai pas oublié aussi ton écrit élogieux envers un certain Abdelkader Dehbi, ancien secrétaire de Boumediene, dont tu dis qu’il t’a aidé dans ton livre sur Bouteflika, mais qui était l’un des têtes pensantes du projet zéro Kabyle. Un écrit élogieux envers ce raciste anti-kabyle assumé au moment où la Kabylie était endeuillée et blessée par des personnes comme lui ainsi que leur politique fasciste et négationniste notamment au temps de Gaïd Salah.

Je reste là. Je ne t’accuse de rien. J’exprime seulement ma profonde déception. Et je souhaite que la lumière sera faite un jour sur cette affaire et que toute personne n’ayant rien avoir avec le crime sera innocentée et libérée.

Tamurt

2 Commentaires

  1. C’est bien tout ça, mais…
    M. Abane est tombé dans le ridicule en tutoyant son confrère.
    ça manque du professionnalisme, voyant !
    Je ne pense pas qu’il ne soit pas dans le syndrome M. Gorky, lui aussi .

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